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Le livre de sable

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— <strong>Le</strong>s quelques épées pauvres que j’ai vues hier à York<br />

Minster m’ont plus émue que les grands bateaux du musée<br />

d’Oslo.<br />

Nos routes se croisaient. Cet après-midi, Ulrica continuerait<br />

son voyage vers Londres ; moi, j’irais vers Édimbourg.<br />

— Dans Oxford Street, me dit-elle, je mettrai mes pas dans<br />

les pas <strong>de</strong> De Quincey, à la recherche d’Ann, perdue dans la<br />

foule <strong>de</strong> Londres.<br />

— De Quincey, répondis-je, a cessé <strong>de</strong> la chercher. Moi,<br />

d’année en année, je la cherche encore.<br />

— Il se peut, dit-elle à voix basse, que tu l’aies trouvée.<br />

Je compris qu’une chose inespérée ne m’était pas interdite et<br />

je posai mes lèvres sur sa bouche et sur ses yeux. Elle m’écarta<br />

avec une douce fermeté, puis déclara :<br />

— Je serai tienne dans l’auberge <strong>de</strong> Thorgate. Je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

d’ici là <strong>de</strong> ne pas me toucher. Il vaut mieux qu’il en soit ainsi.<br />

Pour un célibataire d’un certain âge, l’amour offert est un<br />

don auquel on ne s’attend plus. <strong>Le</strong> miracle a le droit d’imposer<br />

<strong>de</strong>s conditions. Je pensai à mes exploits <strong>de</strong> jeunesse à Popayan<br />

et à une jeune fille du Texas, blon<strong>de</strong> et svelte comme Ulrica, qui<br />

m’avait refusé son amour.<br />

Je ne commis pas l’erreur <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si elle m’aimait.<br />

Je compris que je n’étais pas le premier et que je ne serais pas le<br />

<strong>de</strong>rnier. Cette aventure, peut-être l’ultime pour moi, n’en serait<br />

qu’une parmi bien d’autres pour cette resplendissante et fière<br />

héritière d’Ibsen.<br />

Nous reprîmes notre chemin la main dans la main.<br />

— Tout ceci est comme un rêve, dis-je, et je ne rêve jamais.<br />

— Comme ce roi, répondit Ulrica, qui ne put rêver que<br />

lorsqu’un magicien le fit s’endormir dans une porcherie.<br />

Puis elle ajouta :<br />

— Écoute bien : un oiseau va chanter.<br />

Peu <strong>de</strong> temps après, nous entendîmes son chant.<br />

— Dans ce pays, dis-je, on prétend que lorsqu’une personne<br />

va mourir elle prévoit l’avenir.<br />

— Et moi je vais mourir, annonça-t-elle.<br />

Je la regardai, stupéfait.<br />

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