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Le livre de sable

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— Nous avons couru regar<strong>de</strong>r du côté où je regardais<br />

toujours. On aurait dit que tout le désert s’était mis à marcher.<br />

À travers les barreaux <strong>de</strong> fer <strong>de</strong> la grille nous avons vu le nuage<br />

<strong>de</strong> poussière avant <strong>de</strong> voir les Indiens. Ils venaient nous<br />

attaquer. Ils tapaient sur leur bouche avec la main et poussaient<br />

<strong>de</strong> grands cris. À Santa Irene il y avait quelques longs fusils qui<br />

n’ont servi qu’à faire du bruit et à les exciter encore plus.<br />

La Captive parlait comme on récite une prière, <strong>de</strong> mémoire,<br />

mais moi j’avais entendu dans la rue les Indiens du désert et<br />

leurs cris. Brusquement ils furent dans la pièce et ce fut comme<br />

s’ils entraient à cheval dans les chambres d’un rêve. C’était une<br />

ban<strong>de</strong> d’ivrognes. Aujourd’hui, quand j’évoque la scène, je les<br />

vois très grands. Celui qui marchait en tête donna un coup <strong>de</strong><br />

cou<strong>de</strong> à Rufino, qui se trouvait près <strong>de</strong> la porte. Celui-ci pâlit et<br />

s’écarta. La dame, qui n’avait pas bougé <strong>de</strong> sa place, se leva et<br />

nous dit :<br />

— C’est Juan Moreira 25 .<br />

Avec le temps, je ne sais plus si je me rappelle l’homme <strong>de</strong><br />

cette nuit ou celui que je <strong>de</strong>vais voir plus tard si souvent aux<br />

combats <strong>de</strong> coqs. Je pense à la tignasse et à la barbe noire <strong>de</strong><br />

Po<strong>de</strong>sta, mais aussi à un visage rouquin, grêlé <strong>de</strong> petite vérole.<br />

<strong>Le</strong> petit chien bondit joyeusement à sa rencontre. D’un coup<br />

<strong>de</strong> cravache Moreira l’envoya rouler au sol. Il tomba sur le dos<br />

et mourut en agitant ses pattes. C’est ici que commence pour <strong>de</strong><br />

bon mon histoire.<br />

Je gagnai sans bruit l’une <strong>de</strong>s portes ; elle donnait sur un<br />

couloir étroit et un escalier. En haut, je me cachai dans une<br />

pièce obscure. En <strong>de</strong>hors du lit, qui était très bas, je ne sais<br />

quels autres meubles il pouvait y avoir. J’étais tout tremblant.<br />

En bas, les cris ne diminuaient pas et un bruit <strong>de</strong> verre brisé me<br />

parvint. J’entendis <strong>de</strong>s pas <strong>de</strong> femme qui montaient et je vis une<br />

brève lumière. Puis la voix <strong>de</strong> la Captive m’appela comme dans<br />

un murmure.<br />

— Moi je suis ici pour servir, mais seulement à <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong><br />

paix. Approche-toi, je ne te ferai aucun mal.<br />

25 Héros d’un célèbre feuilleton policier <strong>de</strong> Eduardo Gutierrez et du drame lui aussi<br />

intitulé Juan Moreira, représenté par la compagnie théâtrale <strong>de</strong>s frères Po<strong>de</strong>sta.<br />

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