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Le livre de sable

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m’avait parlé <strong>de</strong> pyrami<strong>de</strong>s ; ce que je vis sur la première <strong>de</strong>s<br />

places fut un poteau <strong>de</strong> bois peint en jaune. J’aperçus à son<br />

sommet le <strong>de</strong>ssin noir d’un poisson. Orm, qui nous<br />

accompagnait, me dit que ce poisson était la Parole.<br />

Sur la place suivante je vis un poteau rouge avec un cercle.<br />

Orm me dit <strong>de</strong> nouveau que c’était la Parole. Je le priai <strong>de</strong> me la<br />

dire. Il se borna à me répondre qu’il n’était qu’un mo<strong>de</strong>ste<br />

artisan et qu’il ne la connaissait pas.<br />

Sur la troisième place, qui fut la <strong>de</strong>rnière, je vis un poteau<br />

peint en noir, orné d’un <strong>de</strong>ssin que j’ai oublié. Dans le fond, il y<br />

avait un long mur droit dont je ne pus distinguer les extrémités.<br />

Je constatai par la suite qu’il était circulaire, qu’il avait un<br />

auvent <strong>de</strong> pisé mais aucune porte et que ce mur faisait le tour <strong>de</strong><br />

la ville. <strong>Le</strong>s chevaux attachés au piquet étaient <strong>de</strong> petite taille et<br />

avaient <strong>de</strong> longues crinières. On ne laissa pas entrer le forgeron.<br />

À l’intérieur, il y avait <strong>de</strong>s gens en armes, tous à pied. Gunnlaug,<br />

le roi, qui était souffrant, était étendu, les yeux mi-clos, sur une<br />

sorte <strong>de</strong> lit <strong>de</strong> camp recouvert <strong>de</strong> peaux <strong>de</strong> chameau. C’était un<br />

homme usé au teint jaunâtre, un objet sacré et comme oublié ;<br />

d’anciennes et larges cicatrices zébraient sa poitrine. L’un <strong>de</strong>s<br />

soldats me fraya un passage. On avait apporté une harpe. <strong>Le</strong><br />

genou à terre, j’entonnai à voix basse la drapa. Elle abondait en<br />

figures <strong>de</strong> rhétorique, avec les allitérations et les scansions que<br />

requiert un tel genre. Je ne sais si le roi la comprit mais il me<br />

donna un anneau d’argent que j’ai encore aujourd’hui. Je pus<br />

entrevoir, sous le coussin où reposait sa tête, la lame d’un<br />

poignard. Il avait à sa droite un échiquier d’une centaine <strong>de</strong><br />

cases où quelques pièces étaient posées en désordre.<br />

<strong>Le</strong>s gar<strong>de</strong>s me firent reculer au fond <strong>de</strong> la pièce. Un homme<br />

prit ma place et resta <strong>de</strong>bout. Il pinça les cor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la harpe<br />

comme pour les accor<strong>de</strong>r et il répéta à voix basse la parole que<br />

j’aurais voulu comprendre et que je ne compris pas. Quelqu’un<br />

dit avec révérence : Maintenant cela ne veut plus rien dire.<br />

Je vis couler quelques larmes. L’homme enflait ou<br />

assourdissait sa voix et les accords, presque i<strong>de</strong>ntiques, étaient<br />

monotones ou, plutôt, infinis. J’aurais voulu que ce chant durât<br />

toujours et <strong>de</strong>vînt ma vie. Brusquement il cessa. J’entendis le<br />

bruit que fit la harpe quand le chanteur, sans doute épuisé, la<br />

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