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J’avais du pain et du poisson. Nous avons dîné en silence. La<br />
pluie s’est mise à tomber. Avec quelques peaux <strong>de</strong> bêtes je lui ai<br />
fait une couche sur le sol <strong>de</strong> terre, là même où était mort mon<br />
frère. La nuit venue, nous nous sommes endormis.<br />
<strong>Le</strong> jour se levait quand nous sommes sortis <strong>de</strong> la maison. La<br />
pluie avait cessé et la terre était couverte <strong>de</strong> neige nouvelle. Il fit<br />
tomber sa canne et m’ordonna <strong>de</strong> la lui ramasser.<br />
— Pourquoi faut-il que je t’obéisse ? lui dis-je.<br />
— Parce que je suis un roi, me répondit-il.<br />
Je pensai qu’il était fou. Je ramassai sa canne et la lui<br />
donnai.<br />
Il parla d’une voix différente.<br />
— Je suis le roi <strong>de</strong>s Secgens. Je les ai souvent menés à la<br />
victoire en <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s combats, mais à l’heure marquée par le<br />
<strong>de</strong>stin, j’ai perdu mon royaume. Mon nom est Isern et je<br />
<strong>de</strong>scends d’Odin.<br />
— Je ne vénère pas Odin, lui répondis-je. Je crois au Christ.<br />
Il reprit, comme s’il ne m’avait pas entendu :<br />
— J’erre par les chemins <strong>de</strong> l’exil mais je suis encore le roi<br />
parce que j’ai le disque. Tu veux le voir ?<br />
Il ouvrit la paume <strong>de</strong> sa main osseuse. Il n’avait rien dans sa<br />
main. Elle était vi<strong>de</strong>. Ce fut alors seulement que je remarquai<br />
qu’il l’avait toujours tenue fermée.<br />
Il dit en me fixant <strong>de</strong> son regard :<br />
— Tu peux le toucher.<br />
Non sans quelque hésitation, je touchai sa paume du bout<br />
<strong>de</strong>s doigts. Je sentis quelque chose <strong>de</strong> froid et je vis une lueur.<br />
La main se referma brusquement. Je ne dis rien. L’autre reprit<br />
patiemment comme s’il parlait à un enfant :<br />
— C’est le disque d’Odin. Il n’a qu’une face. Sur terre il<br />
n’existe rien d’autre qui n’ait qu’une face. Tant qu’il sera dans<br />
ma main je serai le roi.<br />
— Il est en or ? <strong>de</strong>mandai-je.<br />
— Je ne sais pas. C’est le disque d’Odin et il n’a qu’une face.<br />
L’envie me prit alors <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r ce disque. S’il était à moi, je<br />
pourrais le vendre, l’échanger contre un lingot d’or et je serais<br />
un roi.<br />
Je dis à ce vagabond que je hais encore aujourd’hui :<br />
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