Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles
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créateur d'efficacité. Jean Monnet passait d'innombrables heures <strong>à</strong> converser avec le<br />
Vice-président allemand de la Haute Autorité, Franz Etzel, par l'intermédiaire d'une<br />
interprète car ils n'avaient pas de langue vraiment commune. Les deux hommes étaient<br />
aussi dissemblables que possible mais l'un et l'autre étaient convaincus du caractère<br />
historique de leur mission de bâtisseurs de l'Europe et de ces heures d'entretien sont<br />
nées <strong>des</strong> conceptions et <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui inspirent encore l'action <strong>des</strong> institutions<br />
européennes − lesquelles n'ont malheureusement pas échappé ensuite au retour<br />
progressif <strong>des</strong> routines administratives et <strong>des</strong> rivalités de clocher. Bien entendu, il ne<br />
fallait pas oublier les autres membres de la Haute Autorité − qui d'ailleurs ne se seraient<br />
pas laissés oublier ! − c'est une pensée commune qui arrivait ainsi <strong>à</strong> se forger et qui a<br />
permis <strong>à</strong> la Haute Autorité de franchir les étapes de son programme et de faire face aux<br />
crises qui devaient inévitablement survenir.<br />
La première crise sérieuse, sans doute la plus grave qu'ait connue la Haute Autorité, était<br />
née de la « fameuse querelle <strong>des</strong> taxes » où les autorités alleman<strong>des</strong> avaient pris une<br />
position que ne partageaient pas les rédacteurs du Traité. Le débat se développa dans<br />
une atmosphère passionnelle et évolua vers un véritable conflit. Il appartenait <strong>à</strong> la Haute<br />
Autorité de trancher et il existait manifestement en son sein une majorité pour écarter la<br />
solution préférée par les Allemands. Mais la Haute Autorité estima, sous l'impulsion de<br />
Jean Monnet, qu'une décision imposée <strong>à</strong> l'Allemagne risquerait de créer un traumatisme<br />
et de compromettre l'esprit de coopération dans l'Europe naissante. Il fut décidé de<br />
confier la question pour avis <strong>à</strong> un groupe de trois « sages » réputés pour leur<br />
compétence économique, et, en attendant leurs conclusions, de différer l'ouverture du<br />
marché commun de l'acier, décision considérable puisqu'elle remettait en question le<br />
calendrier fixé par le Traité. Quelques mois plus tard, les experts remettaient leur rapport<br />
qui pour l'essentiel confirmait la thèse <strong>des</strong> rédacteurs du Traité, en suggérant certains<br />
aménagements de détail. Entre-temps l'atmosphère s'était quelque peu éclaircie, la<br />
Haute Autorité prit la décision d'ouvrir le marché de l'acier et l'opinion allemande<br />
reconnut l'objectivité de la démarche et s'apaisa.<br />
*<br />
* *<br />
Pour ma part, j'étais chargé <strong>des</strong> finances de la communauté naissante et j'avais<br />
accompagné Jean Monnet aux Etats-Unis où la Haute Autorité avait négocié en 1954 un<br />
emprunt de 100 millions de dollars auprès de l'Export Import Bank. C'était, <strong>à</strong> l'époque,<br />
un montant considérable, les débordements financiers <strong>des</strong> décennies suivantes n'ayant<br />
pas commencé. Au surplus, les besoins d'investissement étaient gigantesques et le taux<br />
d'intérêt de l'emprunt − inférieur <strong>à</strong> 4% − rendait ces fonds attrayants.<br />
Avant même la conclusion de cet emprunt qui apparaissait comme un test de la capacité<br />
financière de la Haute Autorité, l'inquiétude était grande sur la difficulté politique<br />
majeure que représentait la répartition de son produit entre les entreprises de la<br />
Communauté et sur le risque d'une crise au sein de la Haute Autorité, et avec les pays<br />
membres. Avec mon collègue allemand de la Direction <strong>des</strong> Investissements, le Dr.<br />
SALEWSKI, et une petite équipe de collaborateurs, nous avons fait le tour du problème<br />
en tâchant de déterminer <strong>des</strong> critères de choix applicables, entreprise par entreprise, en<br />
fonction de l'urgence <strong>des</strong> besoins et sans nous préoccuper a priori de ce que donnerait la<br />
répartition entre les pays membres de la Communauté.<br />
Après quelques ajustements finaux le programme fut présenté <strong>à</strong> la Haute Autorité qui<br />
l'approuva intégralement après <strong>à</strong> peine une heure de discussion et son application ne<br />
créa aucune difficulté politique. C'était une nouvelle preuve de l'efficacité d'une approche<br />
fondée non sur la négociation d'avantages réciproques mais sur la recherche de la voie<br />
permettant d'atteindre l'objectif commun.<br />
Quelles que soient les embûches qui existent sur le chemin de la construction<br />
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