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Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles

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Sans la présence active de Jean Monnet <strong>à</strong> Luxembourg durant une période clé, je pense<br />

que rien n’aurait été accompli. Ensuite, un certain nombre de conditions et de facteurs<br />

ont changé (l’échec de l’Europe de la défense, l’influence de Pierre Mendès France puis<br />

celle de de Gaulle…). Jean Monnet ne pouvait plus jouer un rôle aussi déterminant que<br />

celui qu'il avait joué auparavant.<br />

Jean Monnet et son entourage ont l’immense mérite d’avoir mené <strong>à</strong> bien les premières<br />

opérations financières de la Haute Autorité aux États-Unis. En échangeant avec ses amis<br />

américains, il a compris que, pour assurer la crédibilité de l’entreprise, une opération<br />

financière internationale d’ampleur devait être lancée. Il était <strong>hors</strong> de question de<br />

solliciter les marchés financiers, qui n’auraient jamais souscrit <strong>à</strong> quoi que ce soit. En<br />

conséquence, il fallait solliciter un grand organisme d’État. Si le gouvernement américain<br />

consentait <strong>à</strong> prêter de l’argent <strong>à</strong> la Haute Autorité, alors le crédit de celle-ci était<br />

d’emblée établi. De ce fait, ensuite, il était envisageable de solliciter les marchés<br />

financiers. Eisenhower a apporté son aide <strong>à</strong> la Haute Autorité en lui ouvrant les portes<br />

d’une importante banque publique américaine. Jean Monnet n’était guère réjoui d’avoir<br />

affaire, finalement, <strong>à</strong> un banquier classique qui ne pouvait que traiter l’opération<br />

d’emprunt rigoureusement comme n’importe quelle autre opération. Son interlocuteur a<br />

donné son aval pour prêter 100 millions de dollars au taux en vigueur de 4 %. Dans<br />

l’équipe représentant la Haute Autorité, le sentiment « d’avoir gagné » prévalait. Or,<br />

Jean Monnet n’était pas de cet avis. Il souhaitait bénéficier d’un taux préférentiel. C’était<br />

faire preuve d’une audace folle, ce que l’avocat nous conseillant dans cette affaire n’avait<br />

pas manqué de sou<strong>ligne</strong>r.<br />

Jean Monnet n’a pas voulu céder, le banquier se bornant <strong>à</strong> exposer qu’il ne pouvait<br />

proposer que le taux en usage. Pour sa part, Jean Monnet voulait un taux préférentiel<br />

même si la différence n’était que symbolique. Il a décidé de rester <strong>à</strong> Washington jusqu’<strong>à</strong><br />

avoir gain de cause. Au cours d’un petit déjeuner <strong>à</strong> Blair House, le secrétaire adjoint au<br />

trésor américain lui a conseillé de tout simplement accepter la proposition qui lui avait<br />

été faite et qui attestait déj<strong>à</strong>, de toute évidence, d’un effort considérable. Il avait pris le<br />

soin d’amener le « New York Times », dans lequel on pouvait lire un article critiquant<br />

fortement l’outrecuidance de la CECA de venir emprunter aux États-Unis comme une<br />

institution reconnue alors qu’elle ne représentait pour ainsi dire rien. Jean Monnet a alors<br />

demandé <strong>à</strong> rencontrer Eisenhower en personne. Au bout d’une journée, il a pu échanger<br />

avec lui. Le Président <strong>des</strong> États-Unis a donc arbitré en personne. Finalement, Jean<br />

Monnet a pu obtenir les conditions symboliquement préférentielles dont il désirait<br />

bénéficier. De retour en Europe, il a été possible de se prévaloir de ces conditions. La<br />

CECA pouvait être prise au sérieux. La Haute Autorité s’est appuyée sur ce prêt en<br />

quelque sorte fondateur pour pouvoir ensuite emprunter auprès <strong>des</strong> plus gran<strong>des</strong><br />

banques du monde (comme Morgan Stanley).<br />

Paul Jaeger :<br />

Vous êtes l’un <strong>des</strong> rares collaborateurs <strong>à</strong> avoir pu côtoyer professionnellement Jean<br />

Guyot et Paul Delouvrier. Quelle est votre perception de leurs styles respectifs <br />

Juan de Liedekerke :<br />

Ils différaient très sensiblement. Pour recourir <strong>à</strong> une image simple, je dirai que Jean<br />

Guyot était du côté du flux tandis que Paul Delouvrier était du côté de la digue. Saint-<br />

Simon a trouvé une très belle métaphore pour distinguer la perception française <strong>des</strong><br />

choses de la perception allemande. Dans le château français tout est clair, bien délimité.<br />

Ses <strong>ligne</strong>s sont nettes. L’accès y est facile. Le château allemand se dévoile, puis se<br />

cache. On emprunte <strong>des</strong> chemins sinueux pour y parvenir. Tout d’un coup, il disparaît,<br />

puis il est l<strong>à</strong>. Avec Paul Delouvrier, les choses étaient simples, nettes délimitées. La<br />

personnalité de Jean Guyot était sans doute bien plus comparable <strong>à</strong> ce jeu d’ombres et<br />

de lumières que Saint-Simon décrit comme entourant un château allemand, au bord du<br />

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