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Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles

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toutes les passions de troupes humaines, en général très mélangées, ivres d'attente (...),<br />

menacées de toutes parts et qui peuvent se croire en affranchissement complet <strong>des</strong><br />

sociétés originelles. » D'où les massacres, le travail forcé, le pillage <strong>des</strong> terres<br />

nourricières et les <strong>des</strong>tructions de vieilles sociétés fragiles. « Dans la colonisation<br />

américaine par les champions de la chrétienté, il y a quelque peu d'une immense et<br />

panique opération exorcistique avec peut-être cette audace insensée − et trop humaine<br />

− d'avoir besoin de faire disparaître ce qui fait peur, un étrange qui vous poursuit du<br />

fond <strong>des</strong> temps. » Et, plus massivement <strong>des</strong>tructif, peut-être, le simple fait biologique de<br />

la rencontre entre <strong>des</strong> Européens relativement immunisés et <strong>des</strong> populations réceptives<br />

aux maladies épidémiques.<br />

Comble d'aberration − le drame, dit Alphonse Dupront, est d'aveuglement mental − la<br />

volonté de conversion a abouti parfois <strong>à</strong> ruiner le paganisme traditionnel sans réussir <strong>à</strong><br />

faire accepter <strong>à</strong> la société indigène un substitut valable. Les Espagnols − ont voulu<br />

christianiser et, ce faisant, ils ont sans doute obtenu que les Indiens se sont laissé<br />

mourir, faute de raisons de vivre ». N'est-il pas stupéfiant de constater que ces propos<br />

font écho <strong>à</strong> ceux qu'émettait déj<strong>à</strong>, voici quatre siècles, Michel de Montaigne. « Au<br />

rebours, nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience <strong>à</strong> les plier plus<br />

facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d'inhumanité et de<br />

cruauté. (...) Qui mit jamais <strong>à</strong> tel prix le service de la mercadence et de la trafique » Et<br />

ailleurs, « Bien crains-je que nous aurons fort hâté la déclinaison (du Nouveau Monde) et<br />

sa ruine par notre contagion... » 68<br />

Mais l'inhumanité n'allait pas s'arrêter l<strong>à</strong> et ce tableau de la conquête du monde par les<br />

Européens ne serait pas complet s'il ne faisait la place de l'un de ses plus funestes<br />

panneaux, le développement de l'esclavage. Ce n'est pas le lieu de reprendre les détails<br />

de l'analyse de Dupront dont il suffit de citer une phrase, définitive : « (...) une immense<br />

<strong>des</strong>truction humaine, une transplantation contrainte, un avilissement possible au niveau<br />

d'un bétail humain qui a fait de l'Afrique, trois siècles durant, le continent obscur,<br />

souffrant, exploité, l'entrepôt <strong>à</strong> merci de vies humaines. » Mais, paradoxalement, par un<br />

besoin d'équilibre fondamental se dégagent <strong>des</strong> forces compensatoires et, vers la fin de<br />

la période considérée, « <strong>à</strong> travers ce monde inhumain grandit, charnelle, pitoyable,<br />

parfois proche, la notion d'humanité », Cette notion prendra sa substance et s'imposera<br />

en conscience, vers la fin du 18 e siècle, précisément <strong>à</strong> propos de l'esclavage et conduira<br />

« <strong>à</strong> un approfondissement de la sensibilité européenne <strong>à</strong> la passion de tout un monde ».<br />

Notre symphonie s'est quelque peu attardée dans ce deuxième mouvement allegro<br />

presto, mais son architecture est si puissante qu'il n'a pas paru possible de le résumer<br />

davantage.<br />

* * *<br />

Troisième mouvement, l'Europe devient ce qu'elle n'avait jamais été, une partie du<br />

monde comme les autres. Elle subit le contrecoup de ses siècles d'expansion mondiale.<br />

Elle en est influencée dans ses mo<strong>des</strong> de vie − sa nourriture −, ses formes sociales, sa<br />

conscience du monde. « Sur le plan du devenir historique, nous sommes arrivés <strong>à</strong> une<br />

période d'histoire définitrice, plus ou moins consciemment, de nouvelles formes de<br />

l'unité. » Au temps de cette espèce de suprématie dominatrice que nous avons évoquée,<br />

l'Europe confondait le reste du monde avec elle-même : c'est, affirme Alphonse Dupront,<br />

« qu'il n'y avait pas d'autre expression vivante de l'unité que celle d'une définition de<br />

l'unité par l'homogénéité de toutes ses parties. » Et si elle n'existait pas, on l'imposait<br />

par le refus de reconnaître la diversité <strong>des</strong> peuples et <strong>des</strong> nations. Le langage montre<br />

que les choses ont changé : nous parlons aujourd'hui de coexistence. Ceci implique la<br />

définition d'un ordre supérieur où doivent vivre ensemble, co-exister, les formes diverses<br />

d'organisation collective, de mœurs et de genres de vie, de compréhension du monde<br />

68 Montaigne : Essais, III, VI.<br />

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