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Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles

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* * *<br />

De cette dépendance originelle, notre Europe va se dégager en trois étapes essentielles<br />

de son évolution. Le premier mouvement de notre symphonie beethovénienne, c'est la<br />

prise de conscience. L'Europe devient peu <strong>à</strong> peu consciente de sa spécificité, de son<br />

aspiration vers l'unité, de son rôle dans le monde. Cette conscience d'Europe aboutira<br />

déj<strong>à</strong> dès la première moitié du 18 e siècle, Alphonse Dupront en trouvant l'affirmation<br />

dans les traités et manuels <strong>des</strong> collèges jésuites où se forme la classe dirigeante de<br />

l'époque. La proclamation suivante est tirée d'un manuel de géographie du début du 18 e<br />

siècle : « L'Europe est la plus petite <strong>des</strong> parties du monde mais seule elle a produit plus<br />

de héros et de savants que le reste de la terre ; elle est le centre de la vraie religion,<br />

aussi bien que <strong>des</strong> sciences, <strong>des</strong> arts de la navigation et du commerce ». Il n'y manque<br />

que la mo<strong>des</strong>tie, mais on connaît le propos prêté <strong>à</strong> un membre de l'illustre Compagnie :<br />

« en fait de mo<strong>des</strong>tie nous ne craignons la comparaison avec personne ... »<br />

Commentaire de ce texte par le Professeur : « Un texte aussi banal (...) dit<br />

excellemment ce qu'il veut dire et même plus qu'il ne dit apparemment. On peut en tirer<br />

les évidences suivantes.<br />

Dans la conscience, d'abord, <strong>des</strong> précellences européennes, demeure la trace du<br />

complexe : l'Europe est la plus petite <strong>des</strong> parties du monde, mais, ce « mais » dit tout :<br />

c'est un « mais » qui sera triomphal. En second lieu, dans cette position exaltante de soi,<br />

l'Europe n'hésite pas, elle se confronte d'emblée <strong>à</strong> tout le reste du monde. Il y a l'Europe<br />

et le monde, et non pas l'Europe et l'Asie, comme il serait, selon la géographie et<br />

l'histoire, naturel. Ce changement de plan éclaire justement les conditions vraies de la<br />

naissance historique de l'Europe. Celle-ci n'est pas née seulement d'une libération de<br />

l'Asie originelle, mais elle est née, en quelque sorte, dans une conscience de soi face au<br />

reste du monde, c'est-<strong>à</strong>-dire dans l'acte historique de la découverte du monde. Seule la<br />

découverte du monde a « décomplexé » l'Europe, elle l'a magnifiée, et, pour dire vrai,<br />

elle a fait l'Europe. Troisième constatation : l'Europe devient dès lors, naturellement,<br />

centre du monde. Jusqu'ici, soit par rapport au coin sud-oriental de la Méditerranée, soit<br />

même par rapport <strong>à</strong> une Méditerranée considérée comme une mer centrale <strong>à</strong> l'intérieur<br />

<strong>des</strong> continents, l'Europe n'avait joué qu'un rôle périphérique ou, selon sa réalité<br />

géographique, un rôle de « finistère ». Désormais, elle assume − ce qui est essentiel −<br />

les fonctions de centre (...) Héros ou savants, l'Europe a conquis son règne dans l'activité<br />

créatrice de ses fils (...) Au regard de l'histoire de l'humanité, l'Europe moderne naît<br />

comme un centre de forces ».<br />

Son unité est faite de notions complexes qui se sont dégagées <strong>à</strong> tour de rôle, parfois<br />

ensemble, et qui concernent aussi bien la puissance militaire que les voies du commerce,<br />

la maîtrise de la mer et <strong>des</strong> échanges, les sciences et les arts. Le tout va se fondre<br />

bientôt dans une notion nouvellement exprimée de civilisation. Quelle magnifique<br />

définition du mot « civilisation » proposée par Alphonse Dupront ! : « En définitive,<br />

l'Europe se sait consciente de soi, dans son rayonnement de lumière, quand elle se sent<br />

capable d'un ordre où les vertus civiles mettent <strong>à</strong> leur place les vertus militaires ».<br />

Bien entendu, le soubassement de cet édifice n'est jamais perdu de vue par Dupront et il<br />

est religieux − c'est la certitude que l'Europe est la terre de la vraie religion.<br />

* * *<br />

Nous parvenons ainsi au deuxième mouvement de notre symphonie : l'Europe découvre<br />

le monde. II va de soi que les catégories intellectuelles ne peuvent enfermer toutes les<br />

démarches de la vie et il y aura quelques chevauchements dans le temps, mais ils ne<br />

mettent pas en question les vertus de l'analyse. L'Europe se libérant, prenant conscience<br />

de sa spécificité, non seulement s'est découverte le centre du monde, mais en est arrivée<br />

<strong>à</strong> confondre le monde avec elle-même! « L'Europe a vécu l'orgueil, au devant de la scène<br />

de l'Histoire, de coloniser le monde en lui proposant ou en lui imposant de devenir<br />

semblable <strong>à</strong> elle. »<br />

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