Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles
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éalités d'aujourd'hui, d'un aujourd'hui que l'on peut, semble-t-il, étaler sur environ trois<br />
cents ans d'histoire ». La preuve en est donnée, convaincante : jusqu'<strong>à</strong> la deuxième<br />
moitié du 17 e siècle, dans tous les grands documents officiels concernant les traités,<br />
mariages, messages du souverain, la seule représentation collective internationale qui<br />
soit évoquée est la Chrétienté. Aux premières années du 18 e siècle, dans les mêmes<br />
documents, il n'est plus question de Chrétienté, le grand décor de fond a maintenant<br />
changé, il s'appelle désormais « Europe ». Autre constatation, les grands dictionnaires de<br />
la fin du 17 e siècle ne parlent ni d'Europe, ni d'Européen. Ce n'est qu'en 1727 que le<br />
terme « européen » apparaît dans le dictionnaire de Furetière.<br />
Il va de soi que cette analyse ne s'applique qu'<strong>à</strong> une certaine notion de l'Europe,<br />
l'Europe, pourrait-on dire, prenant conscience d'elle-même, car une double tradition<br />
mythique, sacrée d'une part, profane de l'autre, préexiste. Tradition sacrée, celle d'après<br />
laquelle les Européens <strong>des</strong>cendent de Japhet, fils de Noé, car l'Europe, dit un ouvrage du<br />
18 e siècle, « fut peuplée après le Déluge par les enfants de ce fils de Noé » avec, semblet-il,<br />
quelque confusion chez certains commentateurs anciens entre Japhet et Japet, l'un<br />
<strong>des</strong> Titans de la légende grecque, père d'Atlas et de Prométhée. Confusion qui ouvre la<br />
voie <strong>à</strong> la notion d'un peuplement de l'Europe par <strong>des</strong> peupla<strong>des</strong> très anciennes venues de<br />
l'Orient. On rejoint ici, dans un syncrétisme grandiose, la tradition profane de la légende<br />
d'Europe, fille d'Agénor, roi de Phénicie, que Zeus, métamorphosé en taureau blanc,<br />
enlève et transporte en Crète où leur <strong>des</strong>cendance ne fut pas mince puisqu'elle<br />
commença avec Minos, Rhadamante et Sarpédon. Il faut dire − pour ne pas oublier que<br />
nous sommes dans le domaine de la poésie − que leur premier acte d'amour eut lieu<br />
sous un platane qui reçut dès lors le privilège de conserver son beau feuillage toute<br />
l'année. Alphonse Dupront cite alors l'article « Europe » de l'Encyclopédie, dû <strong>à</strong> l'abbé de<br />
la Chapelle, qui vaut d'être rappelé : « L'étymologie qui est peut-être la plus<br />
vraisemblable dérive le mot Europe du phénicien « uroppa » qui, dans cette langue,<br />
signifie visage blanc, épithète qu'on pourrait avoir donné <strong>à</strong> la fille d'Agénor, sœur de<br />
Cadmos, mais du moins qui convient aux Européens lesquels ne sont ni basanés comme<br />
les Asiatiques, ni noirs comme les Africains ».<br />
L'ancienne géographie ne connaissait, en effet, que trois parties du monde, l'Asie,<br />
l'Afrique et l'Europe. Ces trois parties s'organisaient autour d'une clef de voûte, lieu de<br />
jonction physique de ces trois parties, au sens large le Moyen-Orient.<br />
* * *<br />
Et voici l'ouverture de cette symphonie beethovénienne où Alphonse Dupront va nous<br />
faire assister <strong>à</strong> l'accomplissement du <strong>des</strong>tin de l'Europe. L'Europe est née dépendante, et<br />
triplement dépendante :<br />
- Dépendante, d'abord, de l'histoire spirituelle de l'Occident. « Pour <strong>des</strong> siècles d'Occident<br />
chrétien, écrit Dupront, Terre Sainte, Jérusalem (...) étaient le centre du monde.<br />
Dépendance fondamentale (...) d'une terre et d'un lieu que nous appellerions aujourd'hui<br />
lieu de sources, c'est-<strong>à</strong>-dire un endroit sacré où la vie terrestre débouche sur autre chose<br />
qui n'est plus elle, mais autre chose qui peut s'appeler l'au del<strong>à</strong>, l'autre vie. »<br />
- L'Europe est dépendante aussi d'une sorte de complexe de naissance vis-<strong>à</strong>-vis <strong>des</strong> deux<br />
autres parties du monde, l'Afrique, « si étrange et mystérieuse qu'elle semble se perdre<br />
dans les lointains les plus reculés de l'Histoire et surtout l'Asie, dont l'Europe sait qu'elle<br />
procède ».<br />
- L'Europe dépend enfin de sa position géographique. Alphonse Dupront apporte <strong>à</strong> la<br />
géographie une note de poésie : « Elle est écrit-il − l'extrémité péninsulaire d'un<br />
immense continent, elle est entourée d'eau quasi de toutes parts, hormis du côté de ses<br />
appartenances asiatiques, et dans ses mers inconnues, flottent au loin quelques îles ».<br />
L'ultime Thulé <strong>des</strong> anciens géographes et <strong>des</strong> chroniqueurs médiévaux, c'est-<strong>à</strong>-dire<br />
l'Islande, est effectivement l'extrémité de la terre; « un homme du Moyen Age aurait<br />
presque pensé que le monde ne pouvait pas aller plus loin ! »<br />
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