Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles
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passé mais Jean Monnet a eu le pressentiment que quelque chose de grave allait se<br />
produire. C’est tout Jean Monnet ! Cette sensitive, cette intuition extraordinaire je ne sais<br />
pas <strong>à</strong> quoi cela est dû…<br />
B.C : Quand situez-vous votre première rencontre avec Jean Monnet <br />
J.G : En fait ça c’est passé de la manière suivante… Juste après la guerre je suis rentré <strong>à</strong><br />
l’Inspection <strong>des</strong> Finances et très vite comme nous l’avons évoqué, j’ai été appelé au<br />
cabinet de Robert Schuman où je ne m’occupais pas du tout d’affaires internationales.<br />
Quand mon patron François Bloch-Lainé est nommé directeur du Trésor en 1949, je suis<br />
chargé du financement <strong>des</strong> investissements dans tout le secteur étatique, c’est-<strong>à</strong>-dire<br />
que je m’occupais surtout de la contrepartie du plan Marshall. À ce moment-l<strong>à</strong>, Jean<br />
Monnet était commissaire au Plan et c’était mon opposite number si vous voulez…<br />
B.C : Vos rapports se sont plutôt bien passés n’est-ce pas <br />
J.G : Oui. C’est au Trésor qu’on a commencé <strong>à</strong> avoir <strong>des</strong> relations fréquentes. À cette<br />
époque, nous avions créé avec Bloch-Lainé, la commission <strong>des</strong> Investissements dont<br />
j’étais le secrétaire général. Cette époque était bénie par une formidable ambiance de<br />
travail, la France se reconstruisait. On avait vraiment le désir que cela se passe dans<br />
l’harmonie, dans la concorde et non pas dans l’opposition comme c’était si souvent le cas<br />
auparavant et encore aujourd’hui… Je voyais Jean Monnet très régulièrement et nous<br />
avons eu de bons rapports puisque, quelques années plus tard, quand il est parti pour<br />
Luxembourg, il m’a demandé de venir avec lui.<br />
B.C : Oui justement, lors de la création de la Communauté européenne du charbon et de<br />
l’acier (CECA), Jean Monnet vous demande d’en devenir le premier responsable financier.<br />
Vous acceptez et contribuez ainsi <strong>à</strong> crédibiliser la première institution de l’histoire de<br />
l’Europe auprès <strong>des</strong> milieux financiers européens et américains.<br />
J.G : Oui. Nous avons permis <strong>à</strong> la Haute Autorité de la CECA de lancer <strong>des</strong> emprunts en<br />
son nom propre ce qui, <strong>à</strong> l’époque, ne signifiait que peu de chose, en particulier auprès<br />
<strong>des</strong> investisseurs américains. Ces opérations se sont réalisées avec l’aide d’un petit<br />
nombre de financiers dont André Meyer, associé de Lazard, David Rockefeller, qui<br />
dirigeait la Chase Manhattan Bank, et Siegmund Warburg.<br />
B.C : Nous reviendrons sur cette période un peu plus tard. Qu’en est-il pour le Comité<br />
d’action pour les États-Unis d’Europe 50 qui a suivi le passage de Jean Monnet <strong>à</strong><br />
Luxembourg <br />
J.G : Je n’en faisais pas partie car j’étais très occupé. Bien sûr j’y étais impliqué. J’étais<br />
impliqué dans tout ce que faisait Jean Monnet... Quand il voyait un nouveau projet <strong>à</strong><br />
présenter au Comité d’action, il en parlait beaucoup et <strong>à</strong> moi en particulier. Il consultait<br />
toujours tout le monde… Je voyais Jean Monnet <strong>à</strong> titre personnel <strong>à</strong> peu près chaque<br />
semaine et vous savez comment il procédait… Je me souviens d’une balade en forêt avec<br />
lui un samedi, <strong>à</strong> Rambouillet où nous parlions de choses et d’autres… Soudain nous<br />
sommes tombés sur <strong>des</strong> promeneurs qui déjeunaient… Jean Monnet a entamé la<br />
conversation avec eux. C’était très amical… et bien sûr, très rapidement, il a questionné<br />
tout le groupe pour connaître son sentiment sur tel ou tel point de l’actualité… Il était<br />
comme ça !<br />
B.C : On parle souvent d’une méthode Monnet Qu’en dites vous <br />
J.G : Il n’y a pas vraiment de méthode Monnet. La démarche de Jean Monnet était<br />
accompagnée d’une très longue réflexion, aidée par de multiples consultations ; elle<br />
n’était accomplie que lorsqu’il avait atteint une véritable conviction qu’il vérifiait non<br />
seulement auprès de ses collaborateurs, mais aussi de ses proches, ou même <strong>des</strong><br />
personnes rencontrées par hasard. Une fois cette conviction établie – et souvent elle<br />
portait sur un point relativement précis, circonscrit, dans une conception d’ensemble –<br />
commençait un véritable travail de martèlement ayant pour objet de faire partager cette<br />
conviction non seulement <strong>à</strong> ceux qui avaient une compétence précise sur la question en<br />
50 En 1955, pour relancer la construction européenne après l’échec de la Communauté européenne de<br />
défense (CED), Jean Monnet fonde le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe. Sous son infatigable<br />
impulsion, ce comité, qui regroupe partis politiques et syndicats européens, devient un remarquable instrument<br />
d’entraînement de toutes les initiatives en faveur de l’union de l’Europe : création du Marché commun, du<br />
Système monétaire européen et du Conseil européen, adhésion britannique <strong>à</strong> la Communauté, élection du<br />
Parlement européen au suffrage universel.<br />
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