Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles
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En évoquant cette période, Delouvrier et Guyot ont souvent parlé d’une « époque<br />
bénie », où l’État et ceux que l’on n’appelait pas encore les partenaires sociaux<br />
travaillaient dans la concorde et dans l’harmonie <strong>à</strong> la reconstruction de la France.<br />
L’entente entre le Plan et le Trésor ne doit pas cacher la rivalité entre les deux<br />
structures, notamment en ce qui concerne la gestion du plan Marshall. Monnet souhaite<br />
créer une banque au sein du Plan pour gérer les fonds en provenance <strong>des</strong> Etats-Unis.<br />
Bloch-Lainé lui répond qu’il n’en est pas question. On peut supposer que, solidarité de<br />
corps oblige, Delouvrier et Guyot se soient trouvés sur <strong>des</strong> positions antagonistes, qui<br />
reproduisent l’affrontement entre Monnet et Bloch-Lainé. Comme Delouvrier l’a raconté<br />
au Comité d’histoire économique et financière de France, « il a fallu toute son amitié pour<br />
Bloch-Lainé » pour dépasser ce différend. Il est finalement décidé que le Trésor gérera<br />
un Fonds de modernisation et d’équipement, qui financera le Plan pendant <strong>des</strong><br />
décennies.<br />
À la fin de l’année 1947, sur le conseil de Jean Monnet, Delouvrier quitte le Plan pour<br />
entrer au cabinet de René Mayer, qu’il suit <strong>à</strong> la fois aux Finances et <strong>à</strong> la présidence du<br />
Conseil. C’est sans doute <strong>à</strong> cette période que se situe l’anecdote que Jean Guyot m’a<br />
racontée et qui est relatée dans mon livre « Paul Delouvrier, un demi-siècle au service de<br />
la France et de l’Europe » : « Paul Delouvrier avait un certain talent pour émettre <strong>des</strong><br />
jugements assez énergiques, il aimait bien affirmer d’une voix claire <strong>des</strong> choses qui ne<br />
plaisaient pas forcément <strong>à</strong> tout le monde. Je vous donne un exemple. Sous la Quatrième<br />
République, les rapports entre les fonctionnaires et les hommes politiques étaient<br />
complètement différents. Il s’agissait de deux catégories séparées, mais il y avait un<br />
dialogue. Un jour, nous discutions avec un ministre – ou un secrétaire d’Etat, je ne sais<br />
plus - pour chercher <strong>des</strong> idées de génie en vue de régler <strong>des</strong> problèmes financiers. Son<br />
opinion sur nos conclusions fut un peu négative. Le ministre nous a dit : « Les<br />
fonctionnaires manquent toujours d’imagination » Et Paul Delouvrier lui a répondu aussi<br />
sec : « Les ministres qui manquent de courage accusent toujours les fonctionnaires de<br />
manquer d’imagination ».<br />
En filigrane, ce témoignage révèle aussi les différences de tempérament entre Paul<br />
Delouvrier et Jean Guyot : d’un côté, un Delouvrier qui se distingue par son énergie et<br />
son franc parler, de l’autre un Guyot plus diplomate et moins porté <strong>à</strong> l’affrontement.<br />
Luxembourg<br />
La troisième étape de ces parcours croisés nous conduit <strong>à</strong> Luxembourg, <strong>à</strong> la Haute<br />
Autorité de la CECA. Jean Guyot et Paul Delouvrier ont été directeurs de la division <strong>des</strong><br />
Finances, le premier de 1952 <strong>à</strong> 1955, le second de 1955 <strong>à</strong> 1958. Jean Monnet attache<br />
une grande importance <strong>à</strong> ce poste, car il souhaite que la Haute Autorité lance <strong>des</strong><br />
emprunts sur le marché financier. Dans son esprit, cela permettra de stimuler l’activité<br />
<strong>des</strong> entreprises sidérurgiques et aussi d’affirmer le crédit de la nouvelle institution. En<br />
dépit de cette importance « fonctionnelle », la Division <strong>des</strong> Finances est une structure<br />
très mo<strong>des</strong>te : Jean Guyot n’a que deux collaborateurs en 1952 et quatre <strong>à</strong> son départ,<br />
en 1955 (dont Juan de Liedekerke ici présent). Dans la carrière classique d’un inspecteur<br />
<strong>des</strong> Finances, le passage <strong>à</strong> Luxembourg est considéré comme une impasse. Paul<br />
Delouvrier a souvent raconté « Luxembourg, c’était l’aventure » et que Bernard Clappier,<br />
qui est pourtant un Européen fervent, l’avait dissuadé d’y aller. Deux facteurs poussent<br />
Guyot et puis Delouvrier <strong>à</strong> se lancer dans cette aventure : d’un côté, l’engagement<br />
européen qu’ils manifesteront jusqu’<strong>à</strong> la fin de leur vie ; de l’autre, la fidélité <strong>à</strong> l’égard de<br />
Monnet. Comme le dit Eric Westphal, « la force de persuasion de Monnet était telle qu’on<br />
ne pouvait rien lui refuser ».<br />
Jean Monnet est certainement le personnage clé de la carrière de Delouvrier et de Guyot,<br />
<strong>à</strong> la fois par sa méthode de travail, avec ce sens du détail et de la persuasion, mais aussi<br />
par ses compétences financières. Dans l’entre-deux guerres, Monnet a été banquier aux<br />
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