Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles
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Finances. Dans les années suivantes, ils empruntent <strong>des</strong> chemins séparés, tout en<br />
restant en relation autour de différents projets, qui ont souvent pour dénominateur<br />
commun la figure de Jean Monnet et leur engagement européen. On peut ainsi appliquer<br />
<strong>à</strong> la fois <strong>à</strong> Guyot et <strong>à</strong> Delouvrier le mot d’après lequel « quand Jean Monnet vous<br />
attrapait, il ne vous lâchait plus pour le reste de sa vie ». Et même au-del<strong>à</strong>.<br />
Mona Guyot :<br />
En effet, Paul Delouvrier et Jean Guyot n’ont pas rejoint l’inspection <strong>des</strong> finances la<br />
même année. Le premier y est entré au début de la guerre, le second après. En 1946,<br />
Bloch-Lainé a œuvré pour que Jean Guyot rejoigne le cabinet du Ministre <strong>des</strong> finances<br />
Robert Schuman.<br />
Juan de Liedekerke :<br />
J’ai rejoint le Luxembourg en novembre 1952. J’étais alors le premier collaborateur de<br />
Jean Guyot <strong>à</strong> la division <strong>des</strong> finances de la Haute Autorité. J’ai pu passer plus de deux<br />
ans avec lui. En définitive, je suis resté un peu plus de quatre ans au service <strong>des</strong><br />
binômes constitués successivement par Jean Monnet et Jean Guyot, puis par René Mayer<br />
et Paul Delouvrier. De fait, j’ai côtoyé <strong>des</strong> êtres extraordinaires. En aucun cas nous ne<br />
devons perdre de vue qu’avant toute chose Paul Delouvrier et Jean Guyot étaient <strong>des</strong><br />
hommes <strong>hors</strong> du commun. Ce sont bien <strong>des</strong> qualités humaines exceptionnelles qui en ont<br />
fait <strong>des</strong> personnalités aussi centrales, exerçant <strong>des</strong> responsabilités si déterminantes pour<br />
la construction de l’Europe. Les inspecteurs <strong>des</strong> finances sont considérés <strong>à</strong> juste titre<br />
comme de grands professionnels et de grands experts. Jean Guyot et Paul Delouvrier se<br />
singularisaient pourtant bel et bien avant tout par le caractère et par la personnalité. Ils<br />
sont restés fidèles <strong>à</strong> leurs convictions. Elles leur ont conféré une force morale et un<br />
rayonnement tout au long de leur vie et de leur carrière. On appréciait ou non<br />
l’institution qu’est la Banque Lazard. Cependant, tous savaient que s’y trouvait, en la<br />
personne de Jean Guyot, quelqu’un d’exceptionnel.<br />
Ne pas poser la dimension humaine comme centrale en évoquant Jean Guyot ou Paul<br />
Delouvrier, c’est rater l’essentiel. Ils avaient perçu que Jean Monnet jouait une partie de<br />
toute première importance. L’enjeu n’était pas <strong>des</strong> moindres puisqu’il s’agissait du<br />
démarrage de l’aventure commune européenne. Jean Monnet a su prendre un pari inouï.<br />
Il a su convaincre Schuman, Gasperi et Adenauer. Surtout, il a eu le génie de leur<br />
proposer la constitution de la CECA pour mettre l’Europe sur les rails. Dans les années<br />
50, l’écrasante majorité <strong>des</strong> opinions publiques aurait rejeté l’idée européenne si elle leur<br />
avait été explicitement présentée. Nous parlons de personnes de conviction, qui avaient<br />
envie de faire autre chose que d’administrer. À l’époque, était-il réellement concevable<br />
pour un inspecteur <strong>des</strong> finances de partir pour Luxembourg Jean Guyot et Paul<br />
Delouvrier ont su pourtant prendre la mesure <strong>des</strong> enjeux. Ils n’ont pas hésité <strong>à</strong> sortir de<br />
ce qui aurait pu être « la voie royale » pour tant d’inspecteurs <strong>des</strong> finances. J’ajouterai<br />
que ces deux figures étaient douées d’un sens de l’analyse prodigieux, même s’ils<br />
demeuraient avant tout très humains. Les collaborateurs étaient mis en confiance par le<br />
climat instauré par de telles personnalités. Une seule chose importait : avancer. Il n’y<br />
avait pas de place pour les manœuvres et les faux-semblants.<br />
Jean Monnet était animé par une vision. De surcroît, il possédait un style de travail très<br />
singulier. Il était entouré de personnalités brillantes. Sa méthode consistait <strong>à</strong> savoir<br />
« vendre » <strong>des</strong> idées <strong>à</strong> <strong>des</strong> personnalités clés. Ces idées étaient le fruit d’échanges et de<br />
réflexions préalables. Lorsque <strong>des</strong> interlocuteurs déterminants étaient convaincus,<br />
convertis en quelque sorte, alors ils devenaient <strong>à</strong> leur tour <strong>des</strong> relais très efficaces dans<br />
leurs pays respectifs. C’est de cette manière que la CECA a été un succès. Lorsque Jean<br />
Monnet a quitté Luxembourg, bien <strong>des</strong> collaborateurs étaient anxieux au sujet de la<br />
pérennité de l’œuvre entreprise. À l’évidence sa méthode avait produit <strong>des</strong> résultats<br />
prodigieux. Peut-être fallait-il continuer avec elle, ou bien fallait-il en adopter une autre.<br />
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