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Jean Monnet<br />
B.C : Dans un témoignage sur Jean Monnet que vous avez écrit dans la série <strong>des</strong> Cahiers<br />
Rouges de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, vous évoquez le magnétisme<br />
mystérieux de son regard…<br />
J.G : Oui. Jean Monnet avait ce regard un peu magique. Il y avait beaucoup de force. Il<br />
avait une faculté de conviction qui le rendait très efficace dans les groupes restreints.<br />
Parmi les quelques personnalités exceptionnelles du monde de la politique <strong>des</strong> affaires ou<br />
<strong>des</strong> arts qu’il m’a été donné de rencontrer, il est peu d’hommes dont l’abord m’ait paru<br />
aussi impressionnant dans sa simplicité, aussi éloquent dans son silence, mais aussi<br />
capable de chaleur dans le pétillement de son regard. En revanche, il était moins <strong>à</strong> l’aise<br />
devant les gran<strong>des</strong> assemblées.<br />
B.C : Je me souviens que vous m’aviez relaté une scène amusante qui avait eu lieu <strong>à</strong><br />
l’Opéra…<br />
J.G : Oui. Décidément vous avez bonne mémoire ! C’était il y a quelques lustres et une<br />
jeune femme d’esprit se trouvait <strong>à</strong> l’Opéra non loin d’un garçon qui bavardait avec sa<br />
voisine et <strong>à</strong> qui elle fit signe de se taire, un doigt sur les lèvres. « Ce garçon me fixa – se<br />
rappelle-t-elle – avec un regard qui me transperça, accompagné d’un sourire inimitable,<br />
que je n’ai jamais oublié. » Elle apprit que ce garçon était Jean Monnet et aujourd’hui encore,<br />
elle raconte cette anecdote avec une certaine émotion 47 !<br />
B.C : Pas possible de savoir qui était cette jeune femme d’esprit <br />
J.G : C’est Madame Betancourt elle-même qui m’a raconté cette histoire ! Drôle non <br />
B.C : Oui ! On n’imagine pas forcément Jean Monnet <strong>à</strong> l’Opéra ! Mais sa force de<br />
persuasion était proverbiale.<br />
J.G : Absolument ! Je me rappelle une histoire avec un fonctionnaire britannique qui,<br />
pendant la guerre de 1914, est chargé de rencontrer Monnet dans sa chambre d’hôtel <strong>à</strong><br />
Londres au sujet d’un point de négociation important pour les Alliés. J’ai entendu<br />
plusieurs fois Jean Monnet raconter – non sans quelque malice – comment, <strong>à</strong> la suite<br />
d’un échange de vues intense, son interlocuteur s’est effondré sur le tapis et il a fallu<br />
appeler le médecin de l’hôtel pour le ranimer !<br />
Il y avait aussi ce président d’une très grande société américaine, laquelle – peu après la<br />
Seconde Guerre mondiale – refusait avec entêtement une décision souhaitée par le<br />
Gouvernement français et qui, après deux heures d’entretien en tête-<strong>à</strong>-tête avec Jean<br />
Monnet, rue de Martignac, accepta de modifier complètement sa position.<br />
B.C : Jean Monnet dit de vous dans ses Mémoires 48 la chose suivante :<br />
“J’avais eu l’occasion d’apprécier au Plan un jeune inspecteur <strong>des</strong> finances, Jean Guyot, <strong>à</strong><br />
l’intelligence vive et concrète, que je sentais de l’espèce <strong>des</strong> grands financiers. Je lui<br />
donnais sa chance, qui fut aussi la nôtre. Je ne regrette pas d’avoir suivi mon intuition et<br />
de lui avoir confié, <strong>à</strong> 31 ans, une tâche aussi considérable. Il la mena avec ses dons<br />
superbes auxquels il ne se fie jamais complètement : c’est sans doute ce contrôle sur sa<br />
facilité naturelle et cette mesure dans l’ambition qui me donnèrent bonne opinion de lui.<br />
Il demeura l’un de mes collaborateurs les plus sûrs et les plus fidèles.”<br />
JG : J’en suis très honoré… Vous savez, j’ai un grand regret en ce qui concerne Jean<br />
Monnet… Celui de ne pas avoir eu de conversations plus profon<strong>des</strong> avec lui. Il fallait<br />
toujours continuer, aller de l’avant. Ce qui poussait cet homme <strong>à</strong> faire les choses qu’il<br />
faisait était extraordinaire.<br />
Le témoignage de Fernand Javel, le chauffeur de Jean Monnet pendant son séjour <strong>à</strong> Alger<br />
en 1943 est extraordinaire 49 . On ressent bien le côté incroyablement humain de Monnet<br />
au travers de cet hommage… Il y a <strong>des</strong> bribes qui me restent… Il était incroyable. Un jour<br />
il m’avait dit que lors d’une soirée somptueuse, dans une superbe maison, avec une<br />
femme ravissante il a eu le sentiment que quelque chose n’allait pas. Alors il est parti.<br />
Puis dans la nuit, il y a eu un incendie dans cette maison ! Je ne sais pas ce qui s’est<br />
47 « Témoignages <strong>à</strong> la mémoire de Jean Monnet », Cahiers Rouges, Fondation Jean Monnet pour l’Europe<br />
<strong>à</strong> Lausanne.<br />
48 Jean Monnet, « Memoires », p. 451, Fayard.<br />
49 « Témoignages <strong>à</strong> la mémoire de Jean Monnet », Cahiers Rouges, Fondation Jean Monnet pour l’Europe<br />
<strong>à</strong> Lausanne.<br />
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