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Lecture hors ligne (pdf à télécharger - Groupe des Belles Feuilles

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eaucoup, le projet CŒUR est une initiative économique. Or, nous l’avions conçu comme<br />

une aventure politique, porteuse de nos valeurs de civilisation. Ce concept peut paraître<br />

flou. J’y crois au plus haut point et Jean Guyot y a été sensible. Après avoir travaillé sur<br />

un manuel d’histoire de l'Europe avec Jean-Baptiste Duroselle, j’étais persuadé que<br />

l’origine <strong>des</strong> nationalismes et <strong>des</strong> patriotismes résidait dans les écoles. Nous avons donc<br />

souhaité former une élite européenne et créer un centre éducatif diffusant une culture<br />

authentiquement européenne. C’est dans cette perspective que le projet CŒUR s’est<br />

inscrit, <strong>à</strong> l’origine. Nous avons finalement souhaité faire une sorte de Council on Foreign<br />

Relations « <strong>à</strong> l’européenne », c'est-<strong>à</strong>-dire une institution orientée vers l’exercice <strong>des</strong><br />

responsabilités européennes. Au fond, nous souhaitions créer une entité empruntant au<br />

« think tank », <strong>à</strong> l’université et <strong>à</strong> l’institut d’étu<strong>des</strong> politiques. Un tel manque de clarté<br />

nous a lourdement pénalisés. Il est presque impossible de mêler l’éducatif et le politique.<br />

Notre initiative a été lancée au cours d’un colloque en 1999, <strong>à</strong> Berlin, qui s’est déroulé <strong>à</strong><br />

l’initiative du président allemand Roman Herzog. L’opération s’est bien déroulée et la<br />

presse a bien relayé nos messages fondamentaux.<br />

Paul Jaeger :<br />

Romano Prodi avait trouvé l’occasion très belle pour un retour en politique européen…<br />

Frédéric Delouche :<br />

La presse italienne a évidemment couvert l’événement bien plus pour Romano Prodi que<br />

pour CŒUR. Jean Guyot a porté l’initiative tant sur un plan moral que financier. A travers<br />

elle, il a voulu soutenir une action ambitieuse en faveur de l’Europe. On ne peut passer<br />

sous silence l’échec retentissant de 2005, du fait de la victoire du non au référendum. Le<br />

Français moyen, le Néerlandais moyen n’ont pas compris l’intérêt de se lancer dans une<br />

entreprise qui remettait en cause tant d’acquis, tant de cadres établis. Je me souviens<br />

avoir témoigné de mes inquiétu<strong>des</strong> dans un discours que j’ai tenu <strong>à</strong> Caen, durant la<br />

campagne. Je ne suis sans doute qu’un historien amateur. Cependant, <strong>à</strong> la lumière de<br />

mes connaissances, j’ai trouvé que la référence <strong>à</strong> la nécessité d’un « électrochoc » pour<br />

relancer la construction européenne était d’une grande pertinence. Le dernier texte de<br />

Jean Guyot me semble <strong>à</strong> ce titre digne d’attention. Je me souviens avoir discuté avec lui<br />

de la stratégie de Bismarck, qui souhaitait provoquer la réunification de l’Allemagne. Pour<br />

ce faire, il a choisi une forme d’électrochoc aujourd’hui inacceptable : la guerre. Ce jeu<br />

est évidemment bien trop dangereux pour nous. Il n’y a qu’<strong>à</strong> observer les divisions<br />

générées en Europe par la guerre en Irak. Je ne sais trop d’où peut provenir un<br />

électrochoc qui s’avérerait providentiel. Les intérêts américains ne sont pas alignés sur<br />

ceux <strong>des</strong> pays d’Europe, pas même ceux de la Grande-Bretagne. Les mentalités<br />

européenne et américaine divergent, même s’il est impensable de jouer sérieusement<br />

« l’Europe contre les Etats-Unis ». Ce serait même une trahison de la filiation de pensée<br />

qui remonte <strong>à</strong> Jean Monnet. Le projet CŒUR a certainement souffert d’insuffisances de<br />

personnes. La ville de Genève était initialement très enthousiaste, mais les choses se<br />

sont très vite compliquées. Surtout, au début <strong>des</strong> années 2000, tous pouvaient percevoir<br />

que la dynamique européenne perdait de son impulsion. Malgré tout, CŒUR a poursuivi<br />

ses activités, même avec une ambition très réduite. Jean Guyot a estimé qu’un jour,<br />

cette initiative pourrait rendre service <strong>à</strong> la construction européenne. Il a voulu rester<br />

optimiste <strong>à</strong> ce sujet, malgré <strong>des</strong> doutes de plus en plus évidents. En 2005, j’ai<br />

notamment assisté <strong>à</strong> un échange entre Jean Guyot et Franck Biancheri. Le premier a<br />

sans doute trouvé l’action du second digne d’intérêt, même s’il ne parvenait sans doute<br />

pas <strong>à</strong> considérer ses tenants et aboutissants comme crédibles.<br />

Je garde de Jean Guyot l’image d’un homme entier, d’un homme de la Renaissance aux<br />

idées larges et <strong>à</strong> la grande générosité. Cependant, j’ai perçu chez lui une forme de<br />

pessimisme. Certes, <strong>à</strong> un moment où <strong>à</strong> un autre, nous réalisons que nous sommes<br />

mortels. Il est alors temps de mettre l’engagement d’une vie en perspective et de se<br />

demander pourquoi au juste on s’est battu. Jean Guyot a certainement rencontré le<br />

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