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Bougainvile, on peut trouver sous la plume de Diderot, déj<strong>à</strong>, ce jugement sans appel :<br />

« La vie sauvage est si simple et nos sociétés sont <strong>des</strong> machines si compliquées ! Le<br />

Tahitien touche <strong>à</strong> l'origine du monde et l'Européen <strong>à</strong> sa vieillesse... »<br />

Si vieux, <strong>à</strong> peine né , s'interroge Alphonse Dupront. Après trois siècles de découverte,<br />

l'Européen peut légitimement se sentir usé. D'autant plus qu'en ces dernières décennies<br />

du 18 e siècle, les colonies anglaises d'Amérique du Nord se proclament indépendantes. Le<br />

Nouveau Monde − quatrième partie du monde − est arrivé <strong>à</strong> l'âge adulte. Mais Alphonse<br />

Dupront n'est nullement convaincu de la fatalité du vieillissement de l'Europe. La fin de la<br />

« découverte » est l'achèvement de l'indépendance européenne. L'Europe est « <strong>à</strong> la fois<br />

une terre de tradition et une terre de création. C'est l'impulsion dynamique de la création<br />

qui lui a donné la certitude panique, élémentaire, d'une indépendance acquise. »<br />

Arrêtons-nous un instant sur cet adjectif « panique » qui a une place d'élection dans le<br />

vocabulaire d'Alphonse Dupront. Dans sa magistrale étude « Du Sacré », publiée en<br />

1987, Dupront sou<strong>ligne</strong>, parmi les caractères de la religion populaire, celui d'une<br />

« culture panique » qu'il analyse ainsi : « Si le dieu Pan exprime la puissance de grands<br />

remuements qui ébranlent tout l'être et le mettent parfois follement en présence de luimême,<br />

ce que l'on peut appeler le « panique » comporte deux composantes maîtresses :<br />

d'une part, il est participation quasi païenne <strong>à</strong> toutes les forces du cosmique, d'autre<br />

part, de par la vertu du nom même du dieu, il est conscience ou subconscience de l'unité<br />

de l'univers. Autant dire que, dans cette maîtrise offerte, l'homme, s'il vit <strong>à</strong> l'unisson <strong>des</strong><br />

forces cosmiques, retrouve dans la création l'ordre et la présence de Dieu. » 67<br />

La dynamique européenne, si l'on s'y arrête un instant pour la replacer dans les grands<br />

courants de l'Histoire, est effectivement assez extraordinaire. La disproportion est<br />

évidente entre les dimensions <strong>des</strong> territoires d'origine − Portugal, Pays-Bas, voire<br />

Angleterre − la présence européenne réduite et l'immensité <strong>des</strong> possessions coloniales. Il<br />

y a l<strong>à</strong> la découverte d'une unité du monde par le commerce. Le Professeur cite une<br />

question que pose Voltaire dans une lettre philosophique et dont l'actualité est de toute<br />

époque. « Je ne sais lequel est le plus utile <strong>à</strong> un État ou un seigneur bien poudré qui sait<br />

précisément <strong>à</strong> quelle heure le roi se lève, <strong>à</strong> quelle heure il se couche et qui se donne <strong>des</strong><br />

airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou un<br />

négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet <strong>des</strong> ordres <strong>à</strong> Surate et au Caire, et<br />

contribue au bonheur du monde ». Qu'aurait dit Voltaire <strong>à</strong> l'ère de la télématique Au fur<br />

et <strong>à</strong> mesure que se fait, d'œuvre <strong>des</strong> Européens. au prix d'une énergie et d'une activité<br />

prodigieuses, un monde − le monde −, une réalité s'impose, en dépit <strong>des</strong> rivalités<br />

nationales : « la conscience sensible et orgueilleuse d'être ensemble Européens ». « Aux<br />

peuples d'Europe rivaux <strong>à</strong> travers le monde dans un <strong>des</strong>tin commun, l'Europe est en train<br />

de devenir une manière de patrie. Ils sont allés la chercher <strong>à</strong> travers la terre entière. »<br />

Cette expansion européenne aux limites de la terre est faite d'ambivalences. L'une <strong>des</strong><br />

plus frappantes avec le recul du temps est le couplage entre les ambitions du<br />

prosélytisme et la réalité d'inhumanité de la découverte européenne. Sa forme essentielle<br />

est l'établissement commercial, le seul échange avec les peuples autochtones étant alors<br />

la relation commerciale. L'absence d'intercommunication culturelle s'explique<br />

différemment selon les pays. L'Inde, avec son haut niveau de culture religieuse n'est pas<br />

prête <strong>à</strong> s'ouvrir <strong>à</strong> l'influence de l'Occident, la Chine n'a aucun besoin <strong>des</strong> « barbares<br />

blancs », le Japon réagit par la violence contre les premiers succès <strong>des</strong> missionnaires<br />

européens. Aux Amériques, en face de populations moins évoluées, l'esprit de croisade<br />

est plus étroitement associé <strong>à</strong> la volonté de conquête commerciale.<br />

Et puis il y a les faits quotidiens, dans leur réalité parfois sordide. « Il y a, dans<br />

l'implantation européenne sur les terres américaines de colonisation, le déchaînement de<br />

67 A. Dupront : « Du Sacré », Gallimard, 1987, p.462.<br />

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