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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

de quelques sentines qu’il vienne; où chaque parole dite m’est<br />

une blessure dans ce que j’aime le mieux, dans ce que j’admire le<br />

plus. D’ailleurs, l’homme n’est-il pas le même partout, avec des<br />

différences d’é<strong>du</strong>cation qui s’accusent seulement dans les gestes,<br />

dans la manière de saluer, dans le plus ou moins de liberté<br />

d’allures?… Quoi, c’était cela, ces fiers artistes, ces admirables<br />

écrivains, dont on chante la gloire, dont on célèbre le génie…<br />

cela, ces êtres petits, vulgaires, affreusement cuistres, singeant les<br />

façons des mondains qu’ils raillent, d’une vanité burlesque,<br />

d’une jalousie féroce; à plat ventre, eux aussi, devant l’argent;<br />

adorant, les genoux dans la poussière, la Réclame, cette vieille<br />

gueuse, qu’ils hissent sur des peluches extravagantes… Oh! que<br />

j’aime mieux les bouviers et leurs bœufs, les porchers et leurs<br />

porcs, oui, ces porcs, ronds, roses, qui s’en vont, fouillant la terre<br />

<strong>du</strong> groin, et dont le dos gras et lisse reflète le nuage qui passe!…<br />

J’ai lu énormément, sans discernement, sans méthode, et, de ces<br />

lectures dépareillées, il ne m’est resté dans l’esprit qu’un chaos<br />

de faits tronqués et d’idées incomplètes, au milieu <strong>du</strong>quel je ne<br />

saurais me débrouiller… J’ai tenté de m’instruire de toutes les<br />

façons, et je m’aperçois que je suis aussi ignorant aujourd’hui<br />

qu’autrefois… J’ai eu des maîtresses que j’ai aimées huit jours,<br />

des blondes sentimentales et romanesques, des brunes farouches,<br />

impatientes <strong>du</strong> baiser, et l’amour ne m’a montré que le vide<br />

effroyable <strong>du</strong> cœur de l’homme, le trompe-l’œil des tendresses,<br />

le mensonge de l’idéal, le néant <strong>du</strong> plaisir… Croyant m’être<br />

arrêté à la formule d’art définitive, par laquelle j’allais étreindre<br />

mes aspirations, fixer mes rêves palpitants, vivants, sur l’épingle<br />

des mots, j’ai publié un livre dont on a parlé avec éloges et qui<br />

s’est bien ven<strong>du</strong>. Certes, j’ai été flatté de ce petit succès; moi aussi,<br />

je m’en suis paré orgueilleusement, comme d’une chose rare, moi<br />

aussi, j’ai pris des airs supérieurs afin de mieux tromper les<br />

autres. Et, voulant me tromper moi-même, souvent, chez moi, je<br />

me suis regardé dans la glace avec une complaisance de comédien,<br />

pour découvrir en mes yeux, sur mon front, dans le port<br />

auguste de ma tête, les signes certains <strong>du</strong> génie. Hélas! le succès<br />

m’a ren<strong>du</strong> plus pénible encore l’intime constatation de mon<br />

impuissance. Mon livre ne vaut rien; le style en est torturé, la<br />

conception enfantine : une déclamation violente, une phraséologie<br />

absurde y remplacent l’idée. Parfois, j’en relis des passages<br />

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