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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

des personnages d’opéra, nous luttions de pensées sublimes, de<br />

sacrifices héroïques, de dévouements prodigieux; nous reculions,<br />

sur des rythmes passionnés et des ritournelles émouvantes,<br />

les bornes de l’abnégation humaine. Un orchestre sanglotant se<br />

mêlait au déchirement de nos voix.<br />

— Je t’aime! je t’aime!<br />

— Non! non! il ne faut pas m’aimer!<br />

Elle, en robe blanche très longue, les yeux égarés, les bras<br />

ten<strong>du</strong>s… Moi, sombre, fatal, les mollets houlant sous le maillot<br />

de soie violette, les cheveux en coup de vent…<br />

— Je t’aime! je t’aime!<br />

— Non! non! il ne faut pas m’aimer!<br />

Et les violons avaient des plaintes inouïes, les hautbois gémissaient,<br />

tandis que les contrebasses et les tympanons grondaient<br />

comme des vents d’orage et des roulements de tonnerre.<br />

Ô cabotinisme de la douleur!<br />

Chose curieuse! la demoiselle de Lan<strong>du</strong>dec et Juliette ne faisaient<br />

plus qu’une; je ne les séparais plus, je les confondais dans<br />

le même rêve extravagant et mélodramatique. Elles étaient trop<br />

pures pour moi, toutes les deux.<br />

— Non! non! je suis un lépreux, laissez-moi!<br />

Elles s’acharnaient à baiser mes plaies, parlaient de mourir,<br />

criaient :<br />

— Je t’aime! je t’aime!<br />

Et vaincu, dompté, racheté par l’amour, je tombais à leurs<br />

pieds. <strong>Le</strong> vieux père, mourant, étendait les mains sur nous et<br />

nous bénissait tous les trois!<br />

Cette folie <strong>du</strong>ra peu, et, bientôt, je me retrouvai sur la <strong>du</strong>ne,<br />

face à face avec Juliette.<br />

— Juliette! Juliette!<br />

Il n’y avait plus de violons, plus de hautbois; il n’y avait qu’un<br />

hurlement de douleur et de révolte, le cri <strong>du</strong> fauve captif qui<br />

réclame sa proie.<br />

— Juliette! Juliette!<br />

Un soir, plus énervé que jamais, je rentrai, le cerveau hanté de<br />

folies sombres, les bras et les mains en quelque sorte poussés par<br />

des rages de tuer, d’étouffer… J’aurais voulu sentir, sous la pression<br />

de mes doigts, des existences se tordre, râler et mourir. La<br />

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