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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

— Ne raillez point, je vous en prie!… Vous ne savez rien,<br />

Lirat… Vous ne soupçonnez rien… Je suis per<strong>du</strong>, déshonoré!<br />

— Déshonoré, mon ami?… En êtes-vous sûr?… Vous avez<br />

de sales dettes?… Vous les paierez!<br />

— Il ne s’agit pas de cela!… Je suis déshonoré! déshonoré,<br />

comprenez-vous?… Tenez, il y a quatre mois que je n’ai donné<br />

d’argent à Juliette… quatre mois!… Et je vis ici, j’y mange, j’y<br />

suis entretenu!… Tous les soirs… avant le dîner… tard…<br />

Juliette rentre… Elle est rompue, pâle, dépeignée… De quels<br />

bouges, de quelles alcôves, de quels bras sort-elle? Sur quels<br />

oreillers sa tête s’est-elle roulée?… Quelquefois, je vois des<br />

raclures de drap danser, effrontées, à la pointe de ses cheveux…<br />

Elle ne se gêne plus, ne prend même plus la peine de mentir… on<br />

dirait que c’est affaire convenue entre nous… Elle se déshabille,<br />

et je crois qu’elle éprouve une joie sinistre à me montrer ses<br />

jupons mal rattachés, son corset délacé, tout le désordre de sa<br />

toilette froissée, de ses dessous défaits qui tombent autour d’elle,<br />

s’étalent, emplissant la chambre de l’odeur des autres!… Des<br />

rages me secouent, et je voudrais la mordre; des colères s’allument,<br />

grondent, et je voudrais la tuer… et je ne dis rien!… Souvent,<br />

même, je m’approche pour l’embrasser… mais elle me<br />

repousse : « Non, laisse-moi, je suis éreintée! » Dans les commencements<br />

de cette abominable existence, je l’ai battue… car il<br />

ne me manque rien, et toutes les hontes, Lirat, je les ai épuisées<br />

— oui, je l’ai battue!… Elle courbait le dos… à peine si elle se<br />

plaignait… Un soir, je lui sautai à la gorge, je la renversai sous<br />

moi… Oh! j’étais bien décidé à en finir… Pendant que je lui serrais<br />

le cou, dans la crainte d’être attendri, je détournais la tête,<br />

fixais obstinément une fleur <strong>du</strong> tapis, et, pour ne rien entendre,<br />

ni une plainte ni un râle, je hurlais des mots sans suite comme un<br />

possédé… Combien de temps suis-je resté ainsi?… Bientôt elle<br />

ne se débattit plus… ses muscles contractés se détendirent… je<br />

sentis, sous mes doigts, sa vie s’étouffer… encore quelques frissons…<br />

puis rien… elle ne bougeait plus… et tout à coup,<br />

j’aperçus son visage violet, ses yeux convulsés, sa bouche<br />

ouverte, toute grande, son corps rigide, ses bras inertes… Ainsi<br />

qu’un fou, je me précipitai dans toutes les pièces de l’appartement,<br />

appelant les domestiques, criant : « Venez, venez, j’ai tué<br />

Madame! J’ai tué Madame! » Je m’enfuis, dégringolant<br />

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