Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
IX<br />
À plat ventre sur la <strong>du</strong>ne, les coudes dans le sable, la tête dans les<br />
mains, le regard per<strong>du</strong> au loin, je rêve… la mer est devant moi,<br />
immense et glauque, rayée de larges ombres violettes, labourée<br />
par des vagues profondes, dont les crêtes, balancées çà et là,<br />
blanchissent. Et les brisants de la Gamelle qui, de temps en<br />
temps, découvre les pointes sombres de ses rocs, m’envoient des<br />
bruits sourds de lointaine canonnade. Hier la tempête était<br />
déchaînée; aujourd’hui le vent a molli, mais la mer ne se résigne<br />
pas encore au calme. La houle s’avance, s’enfle, roule, monte,<br />
secoue ses crinières d’écume tor<strong>du</strong>e, crève en bouillonnement et<br />
retombe écrasée, émiettée, sur les galets, avec un formidable cri<br />
de colère. Pourtant le ciel est tranquille, l’azur se montre entre<br />
les déchirures des nuages vite emportés, et les goélands volent<br />
très haut dans le ciel. <strong>Le</strong>s chaloupes ont quitté le port; elles s’en<br />
vont, diminuent, se dispersent, s’effacent, disparaissent… À ma<br />
droite, dominée par les <strong>du</strong>nes croulantes, la grève fuit jusqu’au<br />
Ploc’h, dont on aperçoit, derrière un repli de terrain, sur un fond<br />
de ver<strong>du</strong>re triste, le toit des premières maisons, le clocher de<br />
pierre ajourée, puis la jetée, énorme remblai de granit, à l’extrémité<br />
<strong>du</strong>quel le phare se dresse… Par-delà la jetée, l’œil devine<br />
des espaces incertains, des plages roses, des criques argentées,<br />
des falaises d’un bleu doux, poudrées d’embrun, si légères<br />
qu’elles semblent des vapeurs, et la mer toujours, et toujours le<br />
ciel, qui se confondent, là-bas, dans un mystérieux et poignant<br />
évanouissement des choses… À ma gauche, la <strong>du</strong>ne, où les<br />
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