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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

Juliette, si Juliette avait prié, je rêvais… J’étais dans un parc, et la<br />

jeune fille s’avançait vers moi, toute baignée de lune. Elle me<br />

prenait par la main, et nous marchions sur les pelouses, et sous<br />

les arbres qui chantaient.<br />

— Jean, me disait-elle, vous souffrez et je viens à vous… J’ai<br />

demandé à Dieu si je pouvais vous aimer, Dieu me l’a permis…<br />

Je t’aime!<br />

— Vous êtes trop belle, trop pure, trop sainte pour<br />

m’aimer!… Il ne faut pas m’aimer!<br />

— Je t’aime!… Penche ton bras sur le mien… Appuie ta tête<br />

sur mon épaule, et allons ainsi toujours!…<br />

— Non, non! Est-ce que l’hirondelle peut aimer le hibou?…<br />

Est-ce que la colombe qui vole dans le ciel peut aimer le crapaud<br />

qui se cache dans la bourbe des eaux croupies?<br />

— Tu n’es pas le hibou, et tu n’es pas le crapaud, puisque je<br />

t’ai choisi… L’amour que Dieu me permet efface tous les péchés<br />

et console de toutes les douleurs… Viens avec moi et je te rendrai<br />

ta pureté. Viens avec moi et je te donnerai le bonheur.<br />

— Non! non!… mon cœur est gangrené, et mes lèvres ont bu<br />

le poison qui tue les âmes, le poison qui damne les vierges<br />

comme toi… Ne t’approche pas ainsi, je te flétrirais; ne me<br />

regarde pas ainsi, mes yeux te saliraient, et tu serais pareille à<br />

Juliette!…<br />

La messe était finie, la vision s’évanouit… Il se fit dans l’église<br />

un grand bruit de chaises remuées et de pas lourds, et les enfants<br />

de chœur éteignirent les cierges de l’autel… Toujours agenouillée,<br />

la jeune fille priait. De son visage, je ne distinguais<br />

qu’un profil per<strong>du</strong> dans l’ombre douce de la voile blanche… Elle<br />

se leva, après s’être signée… Je <strong>du</strong>s écarter ma chaise pour la<br />

laisser passer… Elle passa… Et j’éprouvai une véritable satisfaction,<br />

comme si, en refusant l’amour que la jeune fille m’offrait en<br />

rêve, je venais d’accomplir un grand devoir.<br />

Elle m’occupa une semaine. J’avais recommencé mes courses<br />

acharnées dans les landes, sur les grèves, et je voulais guérir. Pendant<br />

que je marchais, excité par le vent, emporté dans cette<br />

ivresse particulière que vous donne la pluie fouettante des<br />

rivages, j’imaginais des conversations romanesques avec la<br />

demoiselle de Lan<strong>du</strong>dec, des aventures nocturnes qui se déroulaient<br />

en des paysages féeriques et lunaires. Tous deux, comme<br />

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