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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

<strong>Le</strong> dîner fut gai. Lirat y déposa un esprit charmant, tout rempli<br />

d’aperçus originaux sur l’art et sur la littérature, sans outrance,<br />

sans paradoxes. Il avait retrouvé sa verve saine, comme aux<br />

meilleurs jours de sa vie. À plusieurs reprises, j’eus l’idée de lui<br />

avouer que j’avais été voir Juliette… Une sorte de honte me<br />

retint, je n’osai pas.<br />

— Travaillez, travaillez, mon petit Mintié, me dit-il, en nous<br />

quittant… Pro<strong>du</strong>ire, toujours pro<strong>du</strong>ire… tirer, de ses mains ou<br />

de son cerveau, n’importe quoi… ne fût-ce qu’une paire de<br />

bottes… il n’y a encore que ça, allez!…<br />

Six jours après, j’étais retourné chez Juliette, et j’avais pris<br />

l’habitude d’y venir, régulièrement, passer une heure, avant mon<br />

dîner. L’impression désagréable, ressentie lors de ma première<br />

visite, s’était effacée. Peu à peu, et sans que je m’en doutasse, je<br />

m’étais si bien accoutumé aux tentures rouges <strong>du</strong> salon, à<br />

l’Amour en terre cuite, aux bavardages enfantins de Juliette, à<br />

Spy même, qui était devenu mon ami, que, lorsque j’avais passé<br />

une journée sans les voir, il me semblait qu’un grand vide se creusait,<br />

cette journée-là, dans ma vie… Non seulement, les choses<br />

qui m’avaient tant choqué ne me choquaient plus, elles m’attendrissaient<br />

au contraire, et, chaque fois que Juliette conversait<br />

avec son chien, ou prenait de lui des soins exagérés, cela m’était<br />

véritablement une douceur, et comme une affirmation répétée<br />

de la naïveté et des qualités aimantes de son cœur. Je finis par<br />

parler, moi aussi, ce langage de chien… Un soir que Spy était<br />

souffrant, je m’inquiétai et, délicatement, écartant les couvertures<br />

et les ouates qui l’enveloppaient, je murmurai : « Il a <strong>du</strong><br />

bobo, le petit Spy… Où ça, il a <strong>du</strong> bobo? » Seule, l’image <strong>du</strong><br />

chanteur surgissant, tout à coup, auprès de Juliette, troublait<br />

quelquefois la paix de ces réunions, mais je n’avais qu’à fermer<br />

les yeux, un instant, ou à tourner la tête, et elle disparaissait aussitôt.<br />

Je décidai Juliette à me confier sa vie. Elle avait toujours<br />

résisté, jusque-là.<br />

— Non, non! disait-elle.<br />

Et elle ajoutait, avec un soupir, en me regardant de ses grands<br />

yeux tristes.<br />

— À quoi bon, mon ami?<br />

J’insistai, suppliai.<br />

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