Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
d’honneur sur la cheminée <strong>du</strong> salon; moi, je n’avais apporté que<br />
mes livres et deux très belles études de Lirat, que je m’étais mis<br />
en devoir d’accrocher dans mon bureau. Juliette poussa des cris,<br />
scandalisée.<br />
— Que fais-tu là, mon chéri?… Des horreurs pareilles dans<br />
un appartement tout neuf!… Je t’en prie, cache ces horreurs-là!<br />
Oh! cache-les…<br />
— Ma chère Juliette, répondis-je, un peu piqué, tu as bien ton<br />
Amour en terre cuite?<br />
— Sans doute, j’ai mon Amour en terre cuite… quel rapport<br />
ça a-t-il?… Il est très, très, très joli, mon Amour en terre cuite…<br />
Tandis que ça, vraiment!… Et puis ça n’est pas convenable!…<br />
D’abord, moi, chaque fois que je regarde de la peinture de ce fou<br />
de Lirat, ça me donne mal à l’estomac!<br />
J’avais autrefois la fierté de mes admirations artistiques, et je<br />
les défendais jusqu’à la colère. Cela m’eût parut très puéril<br />
d’engager avec Juliette une discussion d’art, et je me contentai<br />
d’enfouir les deux tableaux au fond d’un placard, sans trop de<br />
regrets.<br />
Il arriva, un jour, que tout se trouva dans un ordre admirable;<br />
chaque chose à sa place, les menus objets coquettement disposés<br />
sur les tables, les consoles, les vitrines; les pièces décorées de<br />
plantes aux larges feuilles, les livres dans la liseuse à portée de la<br />
main, Spy dans sa niche neuve, et partout des fleurs… Rien ne<br />
manquait, rien, pas même, sur une table de travail, une rose dont<br />
la tige baignait en un vase de verre, effilé… Juliette rayonnait,<br />
triomphait, ne cessait de me dire :<br />
— Regarde, regarde encore, comme ta petite femme a bien<br />
travaillé!<br />
Et penchant la tête sur mon épaule, les yeux attendris, la voix<br />
émue sincèrement, elle murmura :<br />
— Oh! mon Jean adoré, nous sommes chez nous, maintenant,<br />
chez nous, tu entends bien… Comme nous allons être heureux,<br />
là, dans notre joli nid!…<br />
<strong>Le</strong> lendemain, Juliette me dit :<br />
— Il y a bien longtemps que tu n’es allé chez M. Lirat… Je ne<br />
voudrais pas qu’il pût croire que c’est moi qui t’empêche de le<br />
voir.<br />
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