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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

— Ah! bien vrai, s’exclama Gabrielle, en lançant un jet de<br />

fumée en l’air… Vous savez, je ne suis pas bégueule, moi… je<br />

rigole comme tout le monde… mais là, parole d’honneur!… sur<br />

la tête de ma mère, je rougirais de faire ce qu’elle fait!<br />

La tête renversée, elle poussait des ronds de fumée qui montaient<br />

en vibrant, vers le plafond… Et pour accentuer ce qu’elle<br />

venait de dire :<br />

— Ah! bien, vrai! répéta-t-elle.<br />

Quoique je souffrisse cruellement, quoique chacune des<br />

paroles de Gabrielle me frappât au cœur, ainsi qu’un coup de<br />

couteau, je pris un air câlin, m’approchai d’elle.<br />

— Voyons, ma petite Gabrielle, suppliai-je… racontez-moi.<br />

— Vous raconter!… vous raconter!… Tenez!… vous<br />

connaissez les deux Borgsheim!… ces deux sales Allemands!…<br />

Eh bien, Juliette était avec eux en même temps!… Ça, vous<br />

savez, je l’ai vu!… En même temps, mon cher!… Un soir, elle<br />

disait à l’un : « Ah! bien! c’est toi que j’aime. » Et elle l’emmenait.<br />

<strong>Le</strong> lendemain, elle disait à l’autre : « Non, décidément, c’est<br />

toi… » Et elle l’emmenait… Et si vous aviez vu ça!… Deux ignobles<br />

Prussiens qui chipotaient toujours sur les additions!… Et<br />

puis un tas de choses… Mais je ne veux rien vous dire, parce que<br />

je vois que je vous fais de la peine!<br />

— Non, criai-je… non, Gabrielle… racontez… parce que,<br />

vous comprenez, à la fin, le dégoût… le dégoût…<br />

Je suffoquais… J’éclatai en sanglots.<br />

Gabrielle me consolait :<br />

— Allons! allons… Ne pleurez donc pas, pauvre Jean! Est-ce<br />

qu’elle mérite que vous vous retourniez les sangs de cette<br />

façon!… Un gentil garçon comme vous!… Si c’est possible!…<br />

Je lui disais toujours : « Tu ne le comprends pas, ma chère, tu ne<br />

l’as jamais compris… c’est une perle, un homme comme ça! »…<br />

Ah! j’en connais des femmes qui seraient joliment heureuses<br />

d’avoir un petit homme comme vous… et qui vous aimeraient<br />

bien, allez!…<br />

Elle s’assit sur mes genoux, voulut essuyer mes yeux tout<br />

humides. Sa voix était devenue caressante, et son regard luisait :<br />

— Ayez donc un peu de courage… Lâchez-la!… prenez-en<br />

une autre… une bonne, une douce, une qui vous comprendrait…<br />

Tiens!…<br />

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