Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
<strong>Le</strong>s désastres se multipliaient, se précipitaient. Des billets,<br />
souscrits aux fournisseurs de Juliette, restèrent impayés, et c’est à<br />
peine si je pouvais, en empruntant partout, trouver l’argent<br />
nécessaire à notre existence quotidienne. Mon père avait laissé<br />
quelques créances à Saint-Michel. Généreux et bon, il aimait à<br />
obliger les petits cultivateurs dans l’embarras. Je lançai les huissiers,<br />
sans pitié, contre ces pauvres diables, faisant vendre leur<br />
masure, leur bout de champ, ce par quoi ils vivaient misérablement,<br />
en se privant de tout. Dans les maisons où je possédais<br />
encore <strong>du</strong> crédit, j’achetais des choses que je revendais aussitôt à<br />
vil prix. Je descendais jusque dans les brocantes les plus<br />
véreuses… Des projets de chantage inouïs germaient en moi, et<br />
je lassais Jesselin de mes perpétuelles demandes d’argent. Enfin,<br />
une fois, j’allai chez Lirat. Il me fallait cinq cents francs pour ce<br />
soir, et j’allai chez Lirat, délibérément, effrontément! Pourtant,<br />
en sa présence, dans cet atelier tout plein de souvenirs regrettés,<br />
mon assurance tomba, et j’eus une sorte de pudeur tardive… Je<br />
tournai autour de Lirat, pendant un quart d’heure, sans parvenir<br />
à lui expliquer ce que j’attendais de son amitié… De son<br />
amitié!… Et je me disposais à partir.<br />
— Eh bien! au revoir, Lirat.<br />
— Au revoir, mon ami.<br />
— Ah! j’oubliais… Ne pourriez-vous pas me prêter cinq cents<br />
francs? Je comptais sur mes fermages… Ils sont en retard.<br />
Et rapidement, j’ajoutai :<br />
— Je vous les rendrai demain… demain matin.<br />
Lirat fixa un instant ses yeux sur moi… Je revois encore ce<br />
regard… En vérité, il était douloureux.<br />
— Cinq cents francs!… me dit-il… Où diable voulez-vous<br />
que je les prenne?… Est-ce que j’ai jamais eu cinq cents francs?<br />
J’insistai, répétant :<br />
— Je vous les rendrai demain… demain matin.<br />
— Mais je ne les ai pas, mon pauvre Mintié!… Il me reste<br />
deux cents francs… Si cela peut vous être utile?<br />
Je pensai que ces deux cents francs qu’il m’offrait, c’était le<br />
pain de tout un mois. Je répondis, le cœur déchiré :<br />
—Eh bien, oui!… Tout de même!… Je vous les rendrai<br />
demain… demain matin.<br />
— C’est bon, c’est bon!…<br />
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