Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
— Elle ne viendra pas… Où est-elle?… Que fait-elle?<br />
Je n’avais pas allumé de bougies… <strong>Le</strong>s fenêtres, éclairées par<br />
les lumières de la rue, glissaient dans la pièce un jour sombre,<br />
projetaient sur le plafond une clarté jaune, où l’ombre des<br />
rideaux se dessinait et tremblait… Et les heures s’écoulèrent,<br />
lentes, infinies, si infinies et si lentes qu’on eût dit que le temps,<br />
subitement, avait cessé de marcher.<br />
— Elle ne viendra pas!<br />
De la rue, m’arrivait le bruit ininterrompu des voitures; les<br />
omnibus roulaient lourdement, les fiacres fatigués ferraillaient,<br />
les coupés passaient, plus légers et plus rapides… Quand l’un<br />
d’eux rasait le trottoir ou ralentissait son allure, je me précipitais<br />
à la fenêtre, que j’avais laissée entr’ouverte, et je me penchais<br />
vers la rue… Aucun ne s’arrêtait.<br />
— Elle ne viendra pas!<br />
Et, tout en disant : « Elle ne viendra pas! » j’espérais bien que<br />
Juliette serait là dans quelques minutes… Que de fois je m’étais<br />
roulé sur le canapé, en criant : « Elle ne viendra pas! » et Juliette<br />
était venue!… Toujours, au moment où je désespérais le plus,<br />
j’entendais une voiture s’arrêter, puis des pas dans l’escalier, puis<br />
un craquement dans le couloir, et Juliette apparaissait souriante,<br />
empanachée, emplissant la chambre d’un parfum violent, et d’un<br />
froufrou de soie remuée.<br />
— Allons, prends ton chapeau, mon chéri.<br />
Irrité par ce sourire, par ces toilettes, par ce parfum, exaspéré<br />
par l’attente, souvent, je la traitais <strong>du</strong>rement.<br />
— Où as-tu été? Dans quels bouges t’es-tu traînée?… Dis,<br />
dans quels bouges?<br />
— Oh! si c’est une scène, merci!… Je m’en vais… Bonsoir!…<br />
Moi qui ai eu toutes les peines <strong>du</strong> monde à me rendre libre pour<br />
te retrouver!<br />
Alors, tendant les poings, tous les muscles crispés, je hurlais :<br />
— Eh bien, va-t’en!… Va-t’en au diable!… Et ne reviens<br />
jamais, jamais!<br />
La porte à peine refermée sur Juliette, je courais après elle.<br />
— Juliette! Juliette!<br />
Elle descendait l’escalier.<br />
— Juliette!… remonte, je t’en prie!… Juliette… attends, je<br />
vais avec toi.<br />
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