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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

M’en allant, je continuais de gémir :<br />

— Une bête aurait pitié!… Oui, une bête…<br />

D’autres fois, elle envoyait Célestine pour me chercher, et je la<br />

trouvais couchée dans son lit, fraîche, triste et lasse. Je comprenais<br />

que quelqu’un était là, tout à l’heure, qui venait de partir; je<br />

le comprenais au regard plus tendre de Juliette, à tout ce qui<br />

m’entourait, au lit qui avait été refait, à la toilette rangée avec un<br />

soin trop méticuleux, à toutes les traces effacées, et que je voyais<br />

reparaître dans leur réalité horrible et douloureuse. Je m’attardais<br />

dans le cabinet de toilette, fouillant les tiroirs, interrogeant<br />

les objets, descendant à un examen ignoble des choses familières…<br />

De temps en temps, de la chambre, Juliette m’appelait :<br />

— Viens donc, mon chéri!… Qu’est-ce que tu fais?<br />

Oh! reconstituer son image, percevoir une odeur de lui!… Je<br />

humais l’air, dilatant mes narines, croyant saisir des senteurs<br />

fortes de mâle, et il me semblait que l’ombre de torses puissants<br />

s’allongeait sur les tentures, que je distinguais des carrures<br />

d’athlète, des bras héroïques, des cuisses nerveuses et velues, aux<br />

muscles bombants.<br />

— Viens-tu?… disait Juliette…<br />

Ces nuits-là, Juliette ne parlait que d’âme, que de ciel, que<br />

d’oiseaux; elle avait un besoin d’idéal, de rêveries célestes…<br />

Toute petite dans mes bras, chaste comme une enfant, elle soupirait.<br />

— Oh! qu’on est bien ainsi!… Dis-moi de belles choses, mon<br />

Jean, des choses douces ainsi que dans les vers… J’aime tant ta<br />

voix… elle a des sons d’harmonium… parle-moi longtemps… Tu<br />

es si bon; tu me consoles si bien!… Je voudrais vivre ainsi, toujours<br />

dans tes bras, ne pas bouger, et t’entendre!… Sais-tu aussi<br />

ce que je voudrais?… Ah! j’en rêve!… Avoir de toi une petite<br />

fille qui serait comme un chérubin, toute rose et blonde!… Je la<br />

nourrirais… et tu lui chanterais des chansons très jolies pour<br />

l’endormir!… Mon Jean, quand je serai morte, tu trouveras dans<br />

ma caisse à bijoux un petit cahier rose, avec des dorures… C’est<br />

pour toi… tu le prendras… J’ai écrit là mes pensées, et tu verras<br />

si je t’aimais bien!… tu verras!… Ah! il faudra se lever demain,<br />

sortir, quel ennui!… Berce-moi, parle-moi, dis-moi que tu aimes<br />

mon âme… mon âme!…<br />

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