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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

être physique, dans un grand accablement moral. Je <strong>du</strong>s faire de<br />

sérieux efforts pour m’arracher à cette langueur et regagner enfin<br />

ma chambre. Il me fut impossible de m’endormir. À peine avaisje<br />

clos les paupières, qu’il me semblait que j’étais précipité dans<br />

un trou noir très profond, et brusquement, je me réveillais, haletant,<br />

la sueur au front. Je rallumai ma lampe, essayai de lire…<br />

Mon attention ne parvenait pas à se fixer sur les lignes <strong>du</strong> livre<br />

qui se dérobaient, s’entrecroisaient, se livraient, sous mes yeux, à<br />

une danse fantastique.<br />

— Quelle vie stupide que la mienne! pensai-je… <strong>Le</strong>s jeunes<br />

gens de mon âge rient, chantent, ils sont heureux, insouciants…<br />

Pourquoi donc suis-je ainsi, rongé par d’odieuses chimères? Qui<br />

donc m’a mis au cœur cette plaie mortelle de l’ennui et <strong>du</strong><br />

découragement? Devant eux, un vaste horizon, illuminé de<br />

soleil! Moi, je marche dans la nuit, arrêté sans cesse par des murs<br />

qui me barrent la route et contre lesquels je me cogne en vain le<br />

front et les genoux… C’est qu’ils ont l’amour, peut-être!…<br />

Aimer, ah! oui. Si je pouvais aimer!<br />

Et je revis, qui descendait <strong>du</strong> ciel, la belle vierge de Saint-<br />

Michel, la radieuse vierge de plâtre, avec son manteau constellé<br />

d’argent, et son nimbe d’or. Tout autour d’elle, les astres tournaient,<br />

s’inclinaient, pareils à des fleurs célestes, et des colombes,<br />

ivres de prières, volaient en la frôlant de leurs ailes… Je me rappelai<br />

les extases, les transports d’adoration mystique où elle me<br />

ravissait; toutes les joies, si douces, que j’avais éprouvées, rien<br />

qu’à la contempler. Ne me parlait-elle pas, aussi, là-bas dans la<br />

chapelle? Et ce langage inexprimé, qui coulait dans mon âme<br />

d’enfant des tendresses ineffables, ce langage plus harmonieux<br />

que la voix des anges et le chant des harpes d’or, ce langage plus<br />

parfumé que le parfum des roses, ce langage n’était-il point le<br />

langage divin de l’amour? À mesure que j’écoutais de tous mes<br />

sens ce langage qui était une musique, j’étais enlevé dans un<br />

monde inconnu et merveilleux; une féerique vie nouvelle germait,<br />

éclatait, florissait autour de moi. L’horizon se reculait<br />

jusqu’à l’infini <strong>du</strong> mystère : l’espace resplendissait comme un<br />

intérieur de soleil, et moi-même je me sentais devenu si grand, si<br />

fort, que, d’un seul embrassement, j’étreignais sur ma poitrine<br />

tous les êtres, toutes les fleurs, toutes les nuées de ce paradis, né<br />

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