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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

bassesses, de mes crimes, que des malheurs que j’avais causés<br />

autour de moi… La vieille Marie!… <strong>Le</strong> vieux Félix! Ah! les pauvres<br />

gens!… Où étaient-ils?… Que faisaient-ils?… Avaient-ils<br />

seulement de quoi manger?… Ne les avais-je pas obligés, en les<br />

chassant, à mendier leur pain, eux si vieux, si bons, si confiants,<br />

plus faibles et plus abandonnés que des chiens sans maître?… Je<br />

les voyais, courbés sur des bâtons, affreusement maigres, toussant,<br />

harassés, couchant le soir dans des gîtes de hasard! Et cette<br />

sainte mère <strong>Le</strong> Gannec, qui me soignait comme une mère son<br />

enfant, qui me berçait de ces tendresses réchauffantes qu’ont les<br />

petites gens!… Au lieu de m’agenouiller devant elle, de la remercier,<br />

ne l’avais-je pas brutalisée, presque battue!… Ah! non!<br />

qu’elle ne vienne pas!… qu’elle ne vienne pas!…<br />

La mère <strong>Le</strong> Gannec allumait ma lampe, et je me disposais à<br />

refermer la fenêtre, quand j’entendis, dans le chemin, des grelots,<br />

puis le roulement d’une voiture… Machinalement, je<br />

regardai… Une voiture, en effet, montait la rampe très raide à<br />

cet endroit, une sorte d’omnibus qui me parut haut, et chargé de<br />

malles… Un marin passait… <strong>Le</strong> postillon l’interpella :<br />

— Hé! la maison de M me <strong>Le</strong> Gannec, s’il vous plaît?<br />

— C’est là, en face toi, répondit le marin, qui indiqua la<br />

maison d’un geste de la main et continua sa route.<br />

J’étais devenu tout pâle… et je vis, éclairée par la lumière de la<br />

lanterne, une petite main gantée se poser sur le bouton de la<br />

portière.<br />

— Juliette! Juliette! criai-je, éper<strong>du</strong>… mère <strong>Le</strong> Gannec, c’est<br />

Juliette!… vite, vite… c’est Juliette!<br />

Courant, dégringolant l’escalier, je me précipitai dans la rue.<br />

— Juliette! ma Juliette!<br />

Des bras m’enlacèrent, des lèvres se collèrent à ma joue, une<br />

voix soupira :<br />

—Jean! mon petit Jean!<br />

Et je défaillis dans les bras de Juliette.<br />

Je ne tardai pas à revenir de mon évanouissement. On m’avait<br />

couché sur le lit, et Juliette, penchée sur moi, m’embrassait,<br />

m’appelait, pleurait :<br />

— Ah! pauvre mignon!… Comme tu m’as fait peur!…<br />

Comme tu es blanc encore!… C’est fini, dis!… Parle-moi, mon<br />

Jean!<br />

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