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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

Per<strong>du</strong>!… mais il n’existe pas un crime, entendez-vous bien, un<br />

crime, si monstrueux et si bas soit-il, que le pardon ne puisse<br />

racheter… non pas le pardon de Dieu, non pas le pardon des<br />

hommes, mais le pardon de soi-même, qui est autrement difficile<br />

et meilleur à obtenir… Per<strong>du</strong>!… Je vous écoutais, mon cher<br />

Mintié, et savez-vous à quoi je pensais?… Je pensais que vous<br />

avez l’âme la plus belle et la plus noble que je connaisse… Non,<br />

non… un homme qui s’accuse comme vous faites… non, un<br />

homme qui met dans la confession de ses fautes les accents<br />

déchirants que vous y avez mis… non, celui-là n’est pas un<br />

homme per<strong>du</strong>… Il se retrouve au contraire, et il est près de la<br />

rédemption… L’amour a passé sur vous, et il y a laissé d’autant<br />

plus de boue que votre nature était plus généreuse et plus délicate…<br />

Eh bien! il faut vous laver de cette boue… et je sais où est<br />

l’eau qui l’efface… Vous allez partir d’ici… quitter Paris…<br />

— Lirat! suppliai-je… ne me demandez pas de partir! Vingt<br />

fois je l’ai tenté et je n’ai pas pu.<br />

— Vous allez partir, répéta Lirat, dont le visage, tout à coup,<br />

s’assombrit… Sinon, je me suis trompé, et vous êtes une canaille!<br />

Il reprit :<br />

— Il y a, au fond de la Bretagne, un village de pêcheurs qui<br />

s’appelle <strong>Le</strong> Ploc’h… L’air y est pur, la nature superbe, l’homme<br />

rude et bon. C’est là que vous allez vivre… trois mois, six mois,<br />

un an, s’il le faut… Vous marcherez à travers les grèves, les<br />

landes, les bois de pin, les rochers; vous bêcherez la terre, vous<br />

pêcherez le goémon, vous soulèverez des blocs, vous gueulerez<br />

dans le vent… Enfin, mon ami, vous dompterez ce corps empoisonné,<br />

affolé par l’amour… Dans les commencements, cela vous<br />

sera pénible, et vous éprouverez peut-être des nostalgies, des<br />

révoltes, vous aurez des envies furieuses de retour… Ne vous<br />

rebutez pas, je vous en supplie… Aux jours pesants, marchez<br />

davantage… passez des nuits en mer avec les braves gens de làbas…<br />

Et, si vous avez le cœur gros, pleurez, pleurez… Surtout<br />

pas de mollesse, pas de songeries, pas de lectures, pas de nom<br />

écrit sur les rocs et tracé sur le sable… Ne pensez pas, ne pensez<br />

à rien!… En ces occasions-là, la littérature et l’art sont de mauvais<br />

conseillers, ils auraient vite fait de vous ramener à l’amour…<br />

Une activité incessante des membres, des besognes de charretier,<br />

la chair brisée par l’écrasement des fatigues, le cerveau fouetté,<br />

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