Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
frisson!… Sans plume ne lui était pas tombée des mains; il<br />
continuait d’écrire!… Ce que je lui apprenais là, il le savait<br />
depuis longtemps… Mais l’entendre de ma bouche!… J’étais<br />
stupéfait, et dois-je l’avouer? — froissé que cela ne l’indignât<br />
pas!… Lirait se leva, et se frottant les mains :<br />
— Eh bien! quoi de nouveau? me dit-il.<br />
Je n’y pus tenir davantage. Je me précipitai vers lui, les larmes<br />
aux yeux.<br />
— Écoutez-moi, criai-je en sanglotant… Lirat, par grâce,<br />
écoutez-moi… j’ai mal agi envers vous… je le sais, et je vous<br />
demande pardon… J’aurais dû tout vous dire… Je n’ai pas osé…<br />
Vous me faites peur… Et puis, vous vous souvenez de Juliette,<br />
ici, ce que vous m’avez raconté d’elle… vous vous souvenez…<br />
c’est cela qui m’en a empêché… Comprenez-vous?<br />
— Mais, mon cher Mintié, interrompit Lirat… je ne vous en<br />
veux pas <strong>du</strong> tout… Je ne suis ni votre père ni votre confesseur…<br />
Vous faites ce qui vous plaît, et cela ne me regarde en rien…<br />
Je m’exaltais :<br />
— Vous n’êtes pas mon père, c’est vrai… mais vous êtes mon<br />
ami, mon seul ami, et je vous devais plus de confiance… Pardonnez-moi!…<br />
Oui, je vis avec Juliette, et je l’aime, et elle<br />
m’aime!… Est-ce donc un crime que de chercher un peu de<br />
bonheur?… Juliette n’est pas la femme que vous pensez… on l’a<br />
odieusement calomniée… Elle est bonne, honnête. Oh! ne souriez<br />
pas… oui, honnête!… Elle a des naïvetés d’enfant qui vous<br />
attendriraient, Lirat… Vous ne l’aimez point, parce que vous ne<br />
la connaissez pas!… Si vous saviez toutes les gentillesses, toutes<br />
les prévenances de brave femme qu’elle a pour moi!… Juliette<br />
veut que je travaille… Elle a la fierté de ce que je pourrai créer de<br />
bon… Tenez, c’est elle qui m’a forcé à venir vous voir… moi,<br />
j’avais honte, je n’osais pas… C’est elle!… Oui, Lirat; ayez un<br />
peu pitié d’elle… Aimez-la un peu, je vous en supplie!<br />
Lirat était devenu grave. Il mit sa main sur mon épaule, et me<br />
regardant tristement :<br />
— Mon pauvre enfant! me dit-il d’une voix émue. Pourquoi<br />
me dites-vous tout cela?<br />
— Mais parce que c’est la vérité, mon cher Lirat!… parce que<br />
je vous aime et que je veux rester votre ami… Prouvez-moi que<br />
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