Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
— Maintenant, faites voir que vous êtes content, Spy!…<br />
Faites voir à votre petite mère!…<br />
Spy aboya de nouveau; puis il vint lécher les lèvres de Juliette<br />
qui s’abandonnait, réjouie, à ces odieuses caresses.<br />
— Ah! que vous êtes gentil, Spy!… Oui, que vous êtes bien,<br />
bien, bien gentil!<br />
Et s’adressant à moi, qui semblais complètement oublié<br />
depuis la malencontreuse entrée de Spy, tout à coup elle me<br />
demanda :<br />
— Vous aimez les chiens, monsieur Mintié?<br />
— Beaucoup, Madame, répondis-je.<br />
Alors elle me raconta, en un luxe de détails enfantins, l’histoire<br />
de Spy, ses habitudes, ses exigences, ses drôleries, les scènes dont<br />
il était la cause, avec la concierge qui ne pouvait le souffrir.<br />
— Mais, c’est couché qu’il faut le voir, affirma-t-elle… Si vous<br />
saviez, il a un lit, des draps, un édredon, comme une personne…<br />
Chaque soir, je le borde… Et sa petite tête est si amusante, toute<br />
noire, là-dedans… N’est-ce pas que vous êtes bien, bien drôlet,<br />
monsieur Spy?<br />
Spy se choisit une place plus commode sur la robe de Juliette<br />
et, après avoir tourné, tourné, tourné, il se roula en boule, disparaissant<br />
presque entièrement, dans les plis soyeux de l’étoffe.<br />
— C’est ça!… Dodo, Spy, dodo, mon petit loulou!…<br />
Durant cette longue conversation avec Spy, j’avais pu<br />
examiner Juliette à mon aise… Elle était vraiment très belle, plus<br />
belle encore que je l’avais rêvée sous la voilette. Son visage rayonnait<br />
réellement. Il était d’une telle fraîcheur, d’une telle clarté<br />
d’aurore, que l’air, alentour, s’en trouvait tout illuminé.<br />
Lorsqu’elle se détournait ou se penchait, je voyais ses cheveux<br />
lourds, très noirs, descendre le long de sa robe, en une natte<br />
énorme, qui donnait je ne sais quoi de plus virginal et de plus<br />
jeune à sa jeunesse. Il me sembla qu’un pli droit, volontaire, se<br />
creusait au milieu <strong>du</strong> front, à la racine des cheveux, mais il n’était<br />
visible que dans certaines lumières, et l’éclatante douceur des<br />
yeux, l’excessive bonté de la bouche en tempéraient la <strong>du</strong>reté.<br />
Sous le vêtement ample, on sentait se cambrer un corps souple,<br />
nerveux, aux on<strong>du</strong>lations passionnées, aux puissantes étreintes;<br />
ce qui me ravit, surtout, ce furent ses mains, des mains subtiles et<br />
adroites, d’une agilité surprenante, et donc chaque mouvement,<br />
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