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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

travail rude, son allure gourde, ses yeux confiants de bon<br />

dogue… Hélas! j’aurais voulu avoir tout ce que je n’avais pas,<br />

être tout ce que je n’étais pas!… Ces promenades, qui me rendaient<br />

plus pénible encore la constatation de mon abaissement,<br />

me faisaient pourtant <strong>du</strong> bien, et j’en revenais, chaque fois, avec<br />

des résolutions courageuses… Mais, le soir, je revoyais Juliette,<br />

et Juliette, c’était l’oubli de l’honneur et <strong>du</strong> devoir…<br />

Au-dessus des maisons, le ciel s’éclairait d’une faible lueur,<br />

annonçant l’aube prochaine; et, j’aperçus, au bout de la rue, dans<br />

l’ombre, deux points brillants, deux lanternes de voiture qui<br />

vacillaient, se balançaient, s’avançaient, pareilles à deux becs de<br />

gaz errants… J’eus un espoir, un instant d’espoir… la voiture<br />

approchait, dansant sur les pavés, les lumières grandissaient, le<br />

bruit s’accélérait… Il me sembla que je reconnaissais le roulement<br />

familier <strong>du</strong> coupé de Juliette!… Mais non!… Tout à coup,<br />

la voiture obliqua sur sa gauche, disparut… Et, dans une heure,<br />

ce serait le jour!<br />

— Elle ne viendra pas!… Cette fois, c’est bien fini, elle ne<br />

viendra pas!<br />

Je fermai la fenêtre et me recouchai sur le canapé, les tempes<br />

battantes, tous les membres endoloris… En vain, j’essayai de<br />

dormir… Je ne pus que pleurer, sangloter, crier :<br />

— Oh! Juliette! Juliette!<br />

Ma poitrine était en feu, j’avais dans la tête comme un<br />

bouillonnement de lave… Mes idées s’égaraient, tournaient en<br />

hallucinations… <strong>Le</strong> long des murs de ma chambre, des belettes<br />

se poursuivaient, bondissaient, se livraient à des jeux obscènes…<br />

Et j’espérai que la fièvre m’abattrait, me coucherait dans mon lit,<br />

m’emporterait… Être malade!… Oh! oui, être malade, longtemps,<br />

toujours!… Juliette s’installait près de moi, elle me<br />

veillait, me soulevait la tête pour me faire boire des remèdes, elle<br />

recon<strong>du</strong>isait le médecin en disant des choses à voix basse; et le<br />

médecin avait un air grave :<br />

— Mais non! mais non! Madame, tout n’est pas désespéré…<br />

Calmez-vous.<br />

— Ah! docteur, sauvez-le, sauvez mon Jean!<br />

— C’est vous seule qui pouvez le sauver, puisque c’est de vous<br />

qu’il meurt!<br />

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