Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
ment… Je m’enfonçais davantage dans le lit… Je cherchais des<br />
néants au fond desquels j’aurais disparu… je m’efforçais de<br />
dormir… Et, tout d’un coup, haletant, la sueur au front, les yeux<br />
hagards, je me collais à Juliette, l’étreignais de toutes mes forces,<br />
sanglotant.<br />
— Tu ne me quitteras jamais, ma Juliette!… dis, dis que tu ne<br />
me quitteras jamais… Parce que, vois-tu, j’en mourrais… j’en<br />
deviendrais fou… je me tuerais!… Juliette, je te jure que je me<br />
tuerais!<br />
— Mais, qu’est-ce qui te prend?… Pourquoi trembles-tu?<br />
Non, mon chéri, je ne te quitterai pas… Ne sommes-nous pas<br />
heureux ainsi?… Et puis, je t’aime tant!… quand tu es bien<br />
gentil, comme maintenant!<br />
— Oui, oui, je me tuerais!… je me tuerais!…<br />
— Es-tu drôle, mon chéri!… Pourquoi me dis-tu cela?…<br />
— Parce que…<br />
J’allais tout lui révéler… Je n’osai pas. Et je repris :<br />
— Parce que je t’aime!… parce que je ne veux pas que tu me<br />
quittes! parce que je ne veux pas!…<br />
Il fallut bien, cependant, en arriver à cette confidence…<br />
Juliette avait vu, à la vitrine d’un bijoutier de la rue de la Paix, un<br />
collier de perles dont elle parlait sans cesse. Un jour que nous<br />
nous trouvions dans le quartier :<br />
— Viens voir le beau bijou, me dit-elle.<br />
Et le nez contre la glace, les yeux luisants, longtemps elle<br />
contempla le collier qui arrondissait, sur le velours grenat de<br />
l’écrin, son triple rang de perles roses. Je sentais des frissons lui<br />
courir sur la peau.<br />
— Pas, qu’il est beau?… Et pas cher <strong>du</strong> tout! J’ai demandé le<br />
prix… cinquante mille francs… C’est une occasion unique.<br />
Je cherchai à l’entraîner plus loin. Mais, câline, se penchant à<br />
mon bras, elle me retint. Et elle soupira :<br />
— Ah! comme il ferait bien sur le cou de ta petite femme!<br />
Elle ajouta, avec un air de désolation profonde :<br />
— C’est vrai, aussi!… Toutes les femmes ont des tas de<br />
bijoux… Moi, je n’ai rien… Si tu étais bien gentil, bien gentil!…<br />
tu le donnerais à ta pauvre petite Juliette… Voilà!<br />
Je balbutiai :<br />
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