03.07.2013 Views

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LE CALVAIRE<br />

— C’est bien, mère Sochard… Je vais l’attendre… Et je vous<br />

avertis que ça va être drôle!… Ha! ha!… À la fin, voyez-vous,<br />

mère Sochard, il faut que ça éclate!… J’ai eu de la patience… j’ai<br />

eu… Eh bien! en voilà assez!…<br />

Je brandissais mes poings dans le vide.<br />

— Et ça va être drôle, mère Sochard!… et vous pourrez vous<br />

vanter d’avoir assisté à un spectacle drôle, que vous n’oublierez<br />

jamais, jamais!… Et la nuit vous en rêverez, avec épouvante,<br />

nom de Dieu!<br />

— Ah! monsieur Mintié!… monsieur Mintié!… supplia la<br />

vieille femme. Pour l’amour <strong>du</strong> bon Dieu, calmez-vous… Allezvous-en!…<br />

Vous commettrez un malheur, c’est sûr!… Et qu’estce<br />

que vous ferez, monsieur Mintié?… Qu’est-ce que vous<br />

ferez?<br />

En ce moment, Spy, sorti de sa niche, s’avançait vers moi,<br />

bombant le dos, dansant sur ses pattes grêles d’araignée… Et je<br />

regardai Spy, obstinément… Et je pensai que Spy était le seul<br />

être qu’aimât Juliette, que tuer Spy serait la plus grande douleur<br />

qu’on pût infliger à Juliette… <strong>Le</strong> chien allongeait ses pattes vers<br />

moi, essayait de grimper sur mes genoux. Il semblait me dire :<br />

— Si tu souffres tant, je n’en suis pas la cause… Te venger sur<br />

moi, si petit, si faible, si confiant, ce serait lâche… Et puis, tu<br />

crois qu’elle m’aime tant que ça!… Je l’amuse comme un joujou,<br />

je lui suis une distraction d’une minute et voilà tout… Si tu me<br />

tues, ce soir, elle aura une autre petit chien comme moi, qu’elle<br />

appellera Spy comme moi, qu’elle comblera de caresses comme<br />

moi, et il n’y aura rien de changé!<br />

Je n’écoutais pas Spy, de même que je n’écoutais jamais<br />

aucune des voix qui me parlaient, lorsque le crime me poussait à<br />

quelque mauvaise action… Brutalement, férocement, je saisis le<br />

petit chien par les pattes de derrière.<br />

— Ce que je ferai, mère Sochard! m’écriai-je… Tenez!…<br />

Et faisant tournoyer Spy dans l’air, de toutes mes forces, je lui<br />

écrasai la tête contre l’angle de la cheminée. Du sang jaillit sur la<br />

glace et sur les tentures des morceaux de cervelle coulèrent sur<br />

les flambeaux, un œil arraché tomba sur le tapis…<br />

— Ce que je ferai, mère Sochard?… répétai-je en lançant le<br />

chien au milieu <strong>du</strong> lit, sur lequel une mare rouge s’étale… Ce que<br />

220

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!