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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

courageux et bon, que de pauvres êtres attendaient!… Oui, la<br />

mer, une fois, m’a saisi, elle m’a roulé dans ses vagues, et puis,<br />

elle m’a revomi, vivant, sur un coin de la plage, comme si j’étais<br />

indigne de disparaître en elle…<br />

<strong>Le</strong>s nuages s’émiettent, plus blancs; le soleil tombe en pluie<br />

brillante sur la mer, dont le vert changeant s’adoucit, se dore par<br />

places, par places s’opalise, et, près <strong>du</strong> rivage, au-dessus de la<br />

ligne bouillonnante, se nuance de tous les tons <strong>du</strong> rose et <strong>du</strong><br />

blanc. <strong>Le</strong>s reflets <strong>du</strong> ciel que la vague divise à l’infini, qu’elle<br />

coupe en une multitude de petits tronçons de lumière, miroitent<br />

sur la surface tourmentée… Derrière le môle, la mâture fine d’un<br />

cotre, que des hommes remorquent en halant sur la bouline,<br />

glisse lentement, puis la coque se montre, les voiles hissées<br />

s’enflent, et peu à peu le bateau s’éloigne, dansant sur la lame…<br />

Au long de la grève que le jusant découvre, un pêcheur de berniques<br />

se hâte, et des mousses arrivent, en courant, les jambes<br />

nues, barbotent dans les flaques, soulèvent les pierres tapissées<br />

de goémon, à la recherche des loches et des cancres… Bientôt le<br />

cotre n’est plus qu’une tache grisâtre, à l’horizon, dont la ligne<br />

s’attendrit, s’enveloppe d’une brume nacrée… On dirait que la<br />

mer s’apaise.<br />

Et voilà deux mois que je suis là!… deux mois!… J’ai marché<br />

dans les chemins, dans les champs, dans les landes; tous les brins<br />

d’herbe, toutes les pierres, toutes les croix qui veillent aux carrefours<br />

des routes, je les connais… Comme les vagabonds, j’ai<br />

dormi dans les fossés, les membres raidis par le froid, et je me<br />

suis tapi au fond des rochers, sur des lits de feuilles humides; j’ai<br />

parcouru les grèves et les falaises, aveuglé par le sable, fouetté<br />

par l’embrun, étourdi par le vent; les mains saignantes, les<br />

genoux déchirés, j’ai gravi des rochers inaccessibles aux hommes,<br />

hantés des seuls cormorans; j’ai passé en mer des nuits tragiques<br />

et, dans l’épouvante de la mort, j’ai vu les marins se signer; j’ai<br />

roulé des blocs énormes, et, de l’eau jusqu’au ventre, dans les<br />

courants dangereux, j’ai pêché le goémon; je me suis colleté avec<br />

les arbres, et j’ai remué la terre profondément, à coups de pioche.<br />

<strong>Le</strong>s gens disaient que j’étais fou… Mes bras sont rompus. Ma<br />

chair est toute meurtrie… Eh bien! pas une minute, pas une<br />

seconde, l’amour ne m’a quitté. Non seulement il ne m’a pas<br />

quitté, mais il me possède davantage… Je le sens qui m’étrangle,<br />

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