Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
— Quel grand artiste, n’est-ce pas?<br />
Juliette laissa passer cette exclamation :<br />
— Vous travaillez donc toujours? reprit-elle… Du reste, on<br />
m’a dit que vous viviez en vrai chartreux… <strong>Le</strong> fait est qu’on ne<br />
vous aperçoit nulle part, monsieur Mintié.<br />
La conversation prit un tour excessivement banal; le théâtre<br />
en fit presque tous les frais. À une phrase que je dis, elle s’étonna,<br />
un peu scandalisée :<br />
— Comment, vous n’aimez pas le théâtre?… Est-il possible,<br />
vous, un artiste?… Moi, j’en raffole… c’est si amusant le<br />
théâtre!… Nous retournons, ce soir, aux Variétés pour la troisième<br />
fois, figurez-vous…<br />
On entendit un faible jappement derrière la porte.<br />
— Ah! mon Dieu! s’écria Juliette en se levant avec précipitation…<br />
Mon Spy que j’ai laissé dans ma chambre!… Il faut que je<br />
vous présente mon Spy, monsieur Mintié… vous ne connaissez<br />
pas mon Spy?<br />
Elle avait ouvert la porte, écartait les tentures toutes grandes.<br />
— Allons, Spy! disait-elle, d’une voix câline… Où êtes-vous,<br />
Spy? Venez, pauvre Spy!…<br />
Et je vis un minuscule animal, au museau pointu, aux longues<br />
oreilles, qui s’avançait, dansant sur des pattes grêles semblables à<br />
des pattes d’araignée, et dont tout le corps, maigre et bombé,<br />
frissonnait comme s’il eût été secoué par la fièvre. Un ruban de<br />
soie rouge, soigneusement noué, sur le côté, lui entourait le cou<br />
en guise de collier.<br />
— Allons, Spy, dites bonjour à monsieur Mintié!<br />
Spy tourna vers moi ses yeux ronds, bêtes et cruels, à fleur de<br />
tête, et aboya hargneusement.<br />
— C’est bien, Spy… Donnez la patte maintenant… voulezvous<br />
bien donner la patte… Spy, voulez-vous bien…?<br />
Juliette s’était penchée, et le menaçait <strong>du</strong> doigt, sévèrement…<br />
Spy finit par mettre la patte dans la main de sa maîtresse qui<br />
l’enleva, le caressa, l’embrassa.<br />
— Oh! amour, va!… Oh! le bon chien!… Oh! petit amour<br />
de Spy chéri!<br />
Elle se rassit, le tenant toujours dans ses bras, ainsi qu’un<br />
enfant, frottant sa joue contre le museau de l’affreux animal, lui<br />
soufflant dans l’oreille des choses douces et berceuses.<br />
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