Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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LE CALVAIRE<br />
famille, pauvre, incapable de gagner sa vie désormais. Et j’allais<br />
le chasser!… Ah! comment ai-je fait cela?<br />
Au déjeuner, Marie me parut nerveuse. Elle tournait autour<br />
de ma chaise avec une agitation inaccoutumée.<br />
— Faites excuse, monsieur Jean, me dit-elle enfin… Faut que<br />
j’en aie le cœur net… C’est-y vrai que vous vendez le Prieuré?…<br />
—Oui, Marie.<br />
La vieille fille écarquilla les yeux, stupéfaite, et posant ses<br />
deux mains sur la table, elle répéta :<br />
— Vous vendez le Prieuré?<br />
—Oui, Marie.<br />
— <strong>Le</strong> Prieuré où toute votre famille est née… <strong>Le</strong> Prieuré où<br />
votre père et votre mère sont morts?… <strong>Le</strong> Prieuré, Seigneur<br />
Jésus!<br />
—Oui, Marie.<br />
Elle se recula comme effrayée :<br />
— Mais vous êtes donc un méchant enfant, monsieur Jean?<br />
Je ne répondis rien. Marie sortit de la salle à manger et ne<br />
m’adressa plus la parole.<br />
Deux jours après, mes affaires terminées, les actes signés, je<br />
repartais… De ma fortune, il me restait de quoi vivre un mois, à<br />
peine. C’était fini, bien fini!… Des dettes écrasantes, des dettes<br />
ignobles, et rien!… Ah! si le train avait pu m’emporter loin, toujours<br />
plus loin, n’arriver jamais! C’est à Paris que je m’aperçus<br />
seulement que je n’avais pas été m’agenouiller sur les tombes de<br />
mon père et de ma mère.<br />
Juliette me reçut tendrement. Elle m’embrassait avec passion.<br />
— Ah! mon chéri, mon chéri!… J’ai cru que tu ne reviendrais<br />
plus!… Cinq jours! pense donc! D’abord, si tu refais encore des<br />
voyages, je veux aller avec toi…<br />
Elle se montrait si affectueuse, si véritablement émue, ses<br />
caresses me donnaient tant de confiance, et puis ce que j’avais de<br />
gros sur le cœur me semblait si lourd à porter, que je n’hésitai pas<br />
à lui tout avouer. Je la pris dans mes bras et l’assis sur mes<br />
genoux.<br />
—Écoute-moi, ma Juliette, lui dis-je, écoute-moi bien… Je<br />
suis per<strong>du</strong>, ruiné… ruiné; tu entends : ruiné!… Nous n’avons<br />
plus que quatre mille francs!…<br />
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