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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Il y eut un moment de silence. Juliette, assise dans un fauteuil,<br />

tortillait les dentelles de sa robe de chambre, réfléchissait. Un<br />

sourire ironique erra sur ses lèvres.<br />

— Alors, il faut que je ne voie personne?… C’est ce que tu<br />

veux, n’est-ce pas?… Eh bien, ça va être amusant!… Nous ne<br />

sortons jamais, déjà!… Nous vivons comme de vrais loups!…<br />

— Il n’est point question de cela, ma chérie… J’ai des amis…<br />

je leur dirai de venir…<br />

— Oui, je les connais, tes amis… je les vois d’ici!… des littérateurs,<br />

des artistes!… des gens qu’on ne comprend pas quand<br />

ils vous parlent… et qui nous emprunteront de l’argent!…<br />

Merci!…<br />

Je fus blessé, et répondis vivement :<br />

— Mes amis sont d’honnêtes garçons, tu entends, et qui ont<br />

<strong>du</strong> talent… Tandis que ce crétin et cette sale fille!<br />

— Assez, n’est-ce pas! commanda Juliette… Tu veux? c’est<br />

bien! Je leur fermerai ma porte… Seulement, quand tu as exigé<br />

de vivre avec moi, tu aurais bien dû me prévenir que tu voulais<br />

m’enterrer vivante… J’aurais vu ce que j’avais à faire…<br />

Elle se leva… Je ne pensai point à lui dire que c’était elle, au<br />

contraire, qui avait désiré cette existence à deux, comprenant<br />

que ce serait aggraver la discussion inutilement. Je lui pris la<br />

main.<br />

— Juliette! suppliai-je.<br />

— Eh bien, quoi?<br />

—Tu es fâchée?<br />

— Moi? au contraire, je suis très contente…<br />

—Juliette!<br />

— Allons, laisse-moi… finis… tu me fais mal.<br />

Juliette me bouda toute la journée; lorsque je lui adressais la<br />

parole, elle ne me répondait pas, ou se contentait d’articuler,<br />

d’une voix brève, des monosyllabes irritants. J’étais malheureux<br />

et colère; j’eusse voulu l’embrasser et la battre, la couvrir de baisers<br />

et de coups de poing. Au dîner, elle conserva une dignité de<br />

femme offensée, les lèvres pincées, <strong>du</strong> dédain plein les yeux. En<br />

vain, je tentai de l’attendrir par des allures humbles, des regards<br />

repentants et douloureux; son masque demeurait impitoyable,<br />

son front avait toujours cette barre d’ombre qui m’inquiétait. <strong>Le</strong><br />

soir, couchée, elle prit un livre et me tourna le dos. Et sa nuque,<br />

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