Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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ANNEXE<br />
C’est justice, car n’ayant semé jamais que le mensonge, la trahison<br />
et l’infamie, il est moral et consolant qu’elles ne récoltent<br />
que le désespoir et l’irrémédiable solitude.<br />
La fille est inconsciente 1 , d’ailleurs, <strong>du</strong> mal qu’elle fait. Son<br />
existence passive la mène fatalement à la névropathie.<br />
Elle voit la vie à travers le caprice de ses nerfs et la sujétion de<br />
son organisme surmené. C’est une bête, une belle et folle bête,<br />
qu’on devrait aimer comme on aime une bête de luxe et voilà<br />
tout.<br />
Elle est incapable de comprendre l’amour 2 , et si, par hasard,<br />
un jour de désœuvrement qu’elle sera restée chez elle, elle se sent<br />
prise d’un désir, ou envahie par ce qu’elle croit être un sentiment<br />
de tendresse, c’est pour salir et polluer l’amour de ses baisers de<br />
fille. Elle n’aime que son chien, elle n’a de dévouement que pour<br />
lui; s’il meurt, elle versera des larmes, les seules bonnes larmes<br />
qu’elle puisse verser.<br />
C’est pour cela surtout qu’elle est criminelle. Car, à côté des<br />
idiots, des vaniteux, des rastacouères 3 qu’elle ruine, corps et<br />
âme, il y a aussi de pauvres diables de rêveurs — qui ne sont<br />
point des bêtes pourtant, mais qui sont des poètes —, qui ont cru<br />
à elle, qui, tout entiers, se sont donnés à elle, qui se sont imaginés<br />
qu’ils pouvaient la relever à force de tendresse et de sacrifice et<br />
qu’elle a vidés d’argent, vidés de cervelle, vidés d’honneur et qui,<br />
sortis de ses mains, sont devenus, — eux qui étaient bons, eux<br />
1. Dans L’Amour de la femme vénale, <strong>Mirbeau</strong> dira que l’intelligence de la prostituée,<br />
« figée à l’état infantile, baigne dans une étrange inconscience : elle a la bonté<br />
soudaine des enfants, mêlée à de brusques tendances à la cruauté » (loc. cit., p. 60).<br />
2. <strong>Mirbeau</strong> reviendra sur ses préjugés dans L’Amour de la femme vénale, où il a<br />
précisément intitulé le chapitre V « L’amour de la prostituée ». Il y écrit par<br />
exemple : « L’amour le plus noble et le plus sincère de la prostituée, c’est celui qu’elle<br />
manifeste lorsqu’elle s’éprend d’un homme qui n’est pas de son milieu » (loc. cit.,<br />
p. 74). Il évoquera aussi l’amour des femmes vénales pour leurs maquereaux, ces<br />
« hyènes humaines ».<br />
3. La même année, <strong>Mirbeau</strong> a imaginé un Bolivar de Rastacouère, dans un de ses<br />
Petits Poèmes parisiens, paru le 29 mars 1882 et signé <strong>du</strong> pseudonyme de Gardéniac<br />
(À l’Écart, Reims, 1994, pp. 45-48). <strong>Le</strong> nom a été inventé par Fervacques quelques<br />
années plus tôt.<br />
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