03.07.2013 Views

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

OCTAVE MIRBEAU<br />

— Madame!<br />

— Savez-vous pourquoi je suis venue?<br />

— Pour me débiter des tendresses, je suppose.<br />

— D’abord!… Et puis?<br />

— Alors nous jouons aux petits jeux innocents? C’est fort<br />

délicat.<br />

— Pour vous prier de venir dîner, chez moi, vendredi. Voulezvous?<br />

— Vous êtes très aimable, chère madame. Mais, vendredi,<br />

précisément, cela m’est tout à fait impossible… C’est mon jour<br />

d’Institut!<br />

— Que vous avez donc de l’esprit!… Charles sera très chagrin<br />

de votre refus.<br />

— Vous lui ferez toutes mes excuses, n’est-ce pas?<br />

— Eh bien, adieu, monsieur Lirat!… On gèle chez vous.<br />

En passant devant moi, elle me tendit la main.<br />

— Monsieur Mintié, je suis chez moi tous les jours, de cinq à<br />

sept… Je serai charmée de vous voir… charmée…<br />

Je m’inclinai en remerciant; et elle partit, laissant dans mes<br />

oreilles un peu de la musique de sa voix; dans mes yeux, un peu<br />

de la douceur de son regard; et, dans l’atelier, le parfum violent<br />

de ses cheveux, de son manteau, de son manchon, de son petit<br />

mouchoir.<br />

Lirat s’était remis à travailler, sans prononcer une parole; moi,<br />

je feuilletais un livre que je ne lisais point, et, sur les pages<br />

remuées, passait et repassait sans cesse l’image de la jeune visiteuse.<br />

Je ne me demandais certes pas quelle impression j’avais<br />

gardée d’elle, ni si j’en avais gardé une impression; mais, bien<br />

qu’elle s’en fût allée, elle n’était pas partie tout entière. Il me restait<br />

de cette brève apparition quelque chose d’indécis, comme<br />

une vapeur qui aurait pris sa forme, où je retrouvais le dessin de<br />

la tête, l’inclinaison de la nuque, le mouvement des épaules,<br />

l’on<strong>du</strong>lation de la taille, et ce quelque chose me hantait… Sur la<br />

chaise qu’elle venait de quitter, je la revoyais incertaine et plus<br />

charmante, avec ce sourire tendre, lumineux, qui rayonnait<br />

d’elle, et lui faisait un halo d’amour.<br />

— Qui donc est cette femme? fis-je tout d’un coup et d’un<br />

ton que je m’efforçai de rendre indifférent.<br />

— Quelle femme? dit Lirat.<br />

87

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!