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Un meurtre sera commis le...

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Letitia. Pour la première fois de sa vie, Charlotte devint une femme comme <strong>le</strong>s autres, el<strong>le</strong><br />

n’inspirait plus ni répulsion, ni pitié, et el<strong>le</strong> allait enfin pouvoir jouir des biens de ce monde :<br />

voyager, posséder une bel<strong>le</strong> propriété, avoir de bel<strong>le</strong>s robes et des bijoux, al<strong>le</strong>r au théâtre,<br />

se passer toutes ses fantaisies. Charlotte pouvait se croire l’héroïne d’un conte de fées.<br />

« Sur quoi, Letitia, Letitia qui était si solide, attrapa une grippe qui dégénéra en pneumonie<br />

et, en moins de huit jours, el<strong>le</strong> mourut. Charlotte ne perdait pas seu<strong>le</strong>ment sa sœur, el<strong>le</strong><br />

voyait du même coup s’écrou<strong>le</strong>r tous ses rêves. J’imagine qu’el<strong>le</strong> a dû en vouloir à Letitia.<br />

Pourquoi avait-el<strong>le</strong> besoin de mourir, juste au moment où une <strong>le</strong>ttre venait de <strong>le</strong>ur annoncer<br />

que Bel<strong>le</strong> Gœd<strong>le</strong>r n’avait plus que quelques semaines à vivre ? <strong>Un</strong> mois de plus, peut-être, et<br />

Letitia eût été riche. Et Letitia mourait !<br />

« Les deux sœurs étaient de caractère très différent, il ne faut pas l’oublier, et je ne crois<br />

pas que Charlotte se soit rendu compte qu’el<strong>le</strong> allait commettre une mauvaise action.<br />

L’argent devait revenir à Letitia, il lui <strong>sera</strong>it revenu à brève échéance... et Charlotte se<br />

considérait comme ne faisant avec Letitia qu’une seu<strong>le</strong> et même personne. L’idée ne lui est<br />

sans doute pas venue avant qu’on ne lui eût demandé <strong>le</strong> prénom de sa sœur. C’est à ce<br />

moment-là, sur une question du médecin ou de n’importe qui, qu’el<strong>le</strong> s’avisa que, pour la<br />

plupart des gens, el<strong>le</strong>s n’avaient jamais été, depuis qu’el<strong>le</strong>s séjournaient en Suisse, que <strong>le</strong>s<br />

demoisel<strong>le</strong>s Blacklock, deux Anglaises, d’un certain âge déjà, qui s’habillaient à peu près de<br />

la même façon et se ressemblaient fort. Pourquoi ne <strong>sera</strong>it-ce pas Charlotte qui était morte,<br />

Letitia continuant à vivre ?<br />

« Je croirais volontiers qu’il y eut, dans cette première réponse qui décida de tout, plus<br />

d’impulsion que de calcul. Letitia fut enterrée sous <strong>le</strong> nom de Charlotte. Charlotte était morte<br />

et c’est « Letitia » qui rentra en Ang<strong>le</strong>terre. En el<strong>le</strong> s’éveillaient des qualités d’initiative et<br />

d’énergie, qui ne s’étaient jamais manifestées auparavant, Charlotte ayant toujours été « à<br />

la remorque » de sa sœur. Dès qu’el<strong>le</strong> devint « Letitia », el<strong>le</strong> acquit cette autorité, cette<br />

volonté aussi, qui n’avaient jamais manqué à Letitia. Les deux sœurs étaient mora<strong>le</strong>ment<br />

très différentes, mais je crois qu’intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong>s étaient très proches l’une de l’autre.<br />

« Charlotte dut, naturel<strong>le</strong>ment, prendre quelques précautions de simp<strong>le</strong> bon sens. El<strong>le</strong><br />

acheta une maison dans une région de l’Ang<strong>le</strong>terre qu’el<strong>le</strong> ne connaissait pas. Les seu<strong>le</strong>s<br />

personnes qu’el<strong>le</strong> eût à éviter étaient cel<strong>le</strong>s qui l’avaient connue dans sa vil<strong>le</strong> nata<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong><br />

Cumberland, où el<strong>le</strong> vivait d’ail<strong>le</strong>urs en recluse et, bien entendu, Bel<strong>le</strong> Gœd<strong>le</strong>r, qui avait trop<br />

fréquenté Letitia pour qu’il fût possib<strong>le</strong> de lui donner <strong>le</strong> change. Le changement survenu dans<br />

l’écriture de Letitia fut imputé à l’arthrite. En fait, Charlotte avait fréquenté si peu de gens<br />

que <strong>le</strong>s difficultés ne représentaient rien de sérieux.<br />

— Mais, protesta Bunch, el<strong>le</strong> pouvait rencontrer quelqu’un qui eût connu Letitia ?<br />

— Ce n’était pas très dangereux. Admettons que quelqu’un dise : « J’ai rencontré Letitia<br />

Blacklock. El<strong>le</strong> a tel<strong>le</strong>ment changé que j’ai failli ne pas la reconnaître. » Personne n’irait<br />

penser que la personne en question ne fût effectivement pas Letitia. En dix ans, on change,<br />

vous savez ! El<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> pouvait ne pas reconnaître <strong>le</strong>s gens et mettre ça sur <strong>le</strong> compte de sa<br />

myopie. Au surplus, el<strong>le</strong> était parfaitement au courant de ce qu’avait été la vie de sa sœur à<br />

Londres, el<strong>le</strong> savait où el<strong>le</strong> fréquentait, qui el<strong>le</strong> voyait, et il lui restait toujours, dans <strong>le</strong>s cas<br />

diffici<strong>le</strong>s, la possibilité de se référer aux <strong>le</strong>ttres de Letitia. La seu<strong>le</strong> chose qu’el<strong>le</strong> eût à<br />

craindre, c’était d’être reconnue en tant que Charlotte.<br />

« El<strong>le</strong> s’installa donc à Litt<strong>le</strong> Paddocks, se lia avec ses voisins et, lorsqu’el<strong>le</strong> reçut une <strong>le</strong>ttre<br />

faisant appel au bon cœur de Letitia, c’est très volontiers qu’el<strong>le</strong> accepta de recevoir chez el<strong>le</strong>

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