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Amy Murgatroyd pensait de nouveau à cet avis de la Gazette, qui la tracassait. Mais son<br />
amie, moins impressionnab<strong>le</strong> et peu faite pour suivre plusieurs idées à la fois, ne songeait<br />
plus qu’à sa basse-cour. Il eût d’ail<strong>le</strong>urs fallu, pour l’abattre, autre chose que quelques lignes<br />
imprimées dans un journal. Piétinant dans la boue, el<strong>le</strong> chassa une pou<strong>le</strong> blanche et s’écria :<br />
— Ah ! par<strong>le</strong>z-moi des canards ! Ils vous donnent bien moins de soucis !<br />
— Formidab<strong>le</strong> ! s’écria Mrs. Harmon. Il va y avoir un assassinat chez miss Blacklock !<br />
Le Révérend Julian Harmon, assis à la tab<strong>le</strong> en face de son épouse, <strong>le</strong>va la tête, un peu<br />
surpris.<br />
— <strong>Un</strong> assassinat ?... Quand ?<br />
— Cet après-midi... Enfin, ce soir, à six heures et demie... Ce n’est pas de chance ! C’est<br />
l’heure où tu fais <strong>le</strong> catéchisme ! Quel dommage, chéri ! Toi, qui aimes tant <strong>le</strong>s histoires de<br />
<strong>meurtre</strong> !<br />
— Vraiment, Bunch, je ne sais pas de quoi tu par<strong>le</strong>s !<br />
Mrs. Harmon – qui se prénommait Diana, mais qui était si ronde<strong>le</strong>tte qu’on l’avait bien vite<br />
appelée Bunch [1] — tendit par-dessus la tab<strong>le</strong> la Gazette à son mari.<br />
— Vois toi-même ! Je n’aurais jamais pensé que miss Blacklock pouvait s’intéresser à des<br />
jeux de ce genre-là ! J’imagine que ce sont <strong>le</strong>s Simmons qui <strong>le</strong>s lui auront révélés... Ça<br />
m’étonne, pourtant, de Julia Simmons... Quoi qu’il en soit, il est navrant que tu ne puisses<br />
pas voir ça ! J’irai et je te raconterai tout. J’espère bien que ce n’est pas moi qui devrai faire<br />
la victime ! Si quelqu’un venait brusquement me mettre la main sur l’épau<strong>le</strong> et me souff<strong>le</strong>r à<br />
l’oreil<strong>le</strong> : « Vous êtes morte ! » mon cœur ferait un tel bond que je <strong>sera</strong>is capab<strong>le</strong> d’en<br />
mourir. Tu ne crois pas que c’est possib<strong>le</strong> ?<br />
— Non, Bunch. Je crois que tu es faite pour devenir une très vieil<strong>le</strong> dame, qui vieillira à<br />
côté de moi.<br />
— Et qui mourra <strong>le</strong> même jour que toi, pour être enterrée dans la même tombe que toi. Ce<br />
<strong>sera</strong> magnifique.<br />
Bunch, que cette perspective paraissait enchanter, souriait de toutes ses dents.<br />
— Tu sais que tu as l’air heureux ?<br />
— Et qui ne <strong>le</strong> <strong>sera</strong>it pas à ma place ? Je t’ai, j’ai Susan, j’ai Edward, vous m’aimez tous,<br />
vous ne m’en vou<strong>le</strong>z pas de dire des sottises, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il luit et nous avons une grande maison !<br />
Le Révérend parcourut du regard la vaste sal<strong>le</strong> à manger, insuffisamment meublée, et<br />
approuva un peu à regret.<br />
— Il y a des gens qui pen<strong>sera</strong>ient que notre dernière disgrâce, c’est d’être obligés de vivre<br />
dans cette immense bâtisse, p<strong>le</strong>ine de courants d’air. Pas de chauffage central, aucun<br />
confort... Tout ça, Bunch, c’est pour toi du travail en plus !<br />
— Mais non, Julian ! Il n’est pas plus diffici<strong>le</strong> d’entretenir une grande maison qu’une petite.<br />
D’abord, on va plus vite, parce qu’on a une plus grande liberté de mouvement quand on<br />
manie <strong>le</strong> balai ou la tête-de-loup... D’autre part, dormir dans une grande chambre bien<br />
froide, j’aime ça. On est si bien quand on a juste <strong>le</strong> bout du nez dehors pour vous renseigner<br />
sur la température. Enfin, que la maison soit grande ou petite, on a toujours autant de<br />
pommes de terre à éplucher et la même vaissel<strong>le</strong> à faire. Tu ne crois pas qu’il est bien<br />
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