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LE CONTE<br />
De nouveau, sur le plan de l'énonciation, un embrayage spatial (« cet endroitci<br />
») et temporel (« encore », c'est-à-dire « maintenant »). L'énoncé est une<br />
focalisation du trait « piété », autre constante du personnage.<br />
(8) « A sa mort, il y laissa un puits, une de ses sandales et une négresse du<br />
nom de Lalla Jorra ».<br />
Nous avons, au niveau de cet énoncé, la mise en scène d'une tranche de vie<br />
entière, de la jeunesse à la mort. Comme seul héritage matériel, il est resté un(e) :<br />
- puits, eau bénéfique qui désaliène les aliénés ;<br />
-sandale, objet de culte et prolongement du personnage ;<br />
- négresse, rôle d'officiant et gardienne du culte ;<br />
- zaouïa, tombeau du saint et lieu du culte.<br />
(9) « Aujourd'hui, on mène en ce lieu l'individu atteint d'aliénation<br />
mentale ».<br />
Cet énoncé effectue un double embrayage temporel (« maintenant » de la<br />
parole) et spatial (« l'ici » comme scène de cette parole en train de se dérouler ; le<br />
récit n'est pas terminé). <strong>Le</strong> récit s'enrichit d'une nouvelle dimension. Il devient « récit<br />
d'origine » et la légende une « légende de fondation » 1 .<br />
(10) « La négresse le frappe de la sandade de l'agourram, lui tire du puits un<br />
vase d'eau, il se lave et boit ».<br />
Au niveau de cet énoncé pré-final, nous avons la description du culte, lequel<br />
se manifeste comme processus de désaliénation.<br />
(11) « Et avec la grâce de Dieu et la baraka de Sidi Abd El-Haqq, il trouve<br />
remède à son mal ».<br />
Cet énoncé final annonce la possibilité d'un récit « posthume » du personnage<br />
de Sidi Abd El-Haqq. Il révèle, outre l'héritage spirituel du saint (la baraka), la<br />
véritable destination du récit-message. Essayons de reconstruire la demande qui est à<br />
la base de « l'émission » de ce récit :<br />
- « Qu'est-ce que c'est que ce lieu ?<br />
- C'est la zaouïa de Sidi Abd El-Haqq !<br />
- Ah ! et qui est-ce Sidi Abd El-Haqq ?<br />
- Écoutez, je vais vous raconter son histoire »<br />
En résumé, ces énoncés d'ouverture et de clôture du récit nous renseignent sur<br />
la structuration de la narrativité, le système actantiel sous-jacent et la distribution des<br />
actants de l'énonciation discursive.<br />
Du point de vue de la narrativité, nous nous contenterons de l'illustration,<br />
aussi brève soit-elle, de trois paramètres : le temps, l'espace et les états narratifs<br />
principaux.<br />
Concernant le temps, il est à constater l'absence de repères chronologiques<br />
précis. <strong>Le</strong>s seules datations possibles relèvent de la description (indirecte) de l'état<br />
« socio-économique » de la communauté, laquelle, sédentarisée, s'adonne à l'élevage<br />
(« troupeau de vaches »), à l'agriculture (« culture du blé »), à l'artisanat (confection<br />
des ustensiles et des instruments de la vie quotidienne : « plats », « cruche »,<br />
1 La légende est de l'ordre du véridique. Elle a besoin d'ancrages dans l'espace et le temps. Pour les<br />
distinctions entre légende, mythe, épopée, geste, conte et fable, voir Formes simples de A. Jolles, Seuil,<br />
1972 (trad. fr.).<br />
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