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CONTE ET NOUVELLE<br />
(et, du coup, déceptivité) : le texte passerait du côté de la nouvelle. Il en irait de<br />
même, à plus forte raison, s'il était possible de montrer, dans un texte, que la bécasse<br />
n'est sujette à aucun investissement thématique - reste, en somme, figure à l'état pur.<br />
Chimère, cette figure sans répondant thématique ? Oui, si, comme le fait parfois<br />
Greimas 1 , on pose l'homologie entre le couple figuratif/ thématique et le couple<br />
signifiant/signifié. Car, en linguistique comme en sémiotique, point, on le sait, de<br />
signifiant sans signifié, relisez Saussure, Hjelmslev et Greimas ! Mais on sait aussi<br />
qu'il est possible de penser l'autonomie du signifiant par rapport au signifié : c'est ici<br />
à Lacan qu'il faut se référer, et notamment à la théorie du point de capiton. Jetez<br />
donc un coup d'œil sur le Séminaire III 2 : vous aurez la surprise de constater que la<br />
théorie du point de capiton - elle-même garante de l'autonomie du signifiant par<br />
rapport au signifié - s'appuie sur une analyse linguistique, fondée sur la notion de<br />
mot-clé, empruntée par Lacan à Pierre Guiraud. Impossible, on s'en doute, d'entrer<br />
ici dans ce débat. <strong>Conte</strong>ntons-nous d'entrevoir la possibilité d'un signifiant détaché<br />
de ses attaches (mais pas de toutes ses attaches : reste précisément le point de<br />
capiton, le mot-clé de Guiraud) avec le signifié : dans la foulée vous posez une<br />
figure déliée - partiellement - de ses attaches au plan thématique.<br />
On l'a compris : la non-conformité, liée à la déceptivité, exige une certaine<br />
prolifération du signifiant. On comprend pourquoi la nouvelle, non-conforme et<br />
déceptive, a fréquemment besoin d'un signifiant spatialement plus étendu que le<br />
conte, conforme et non-déceptif.<br />
3. FICTIVITÉ DU CONTE VS VÉRIDICITÉ DE LA NOUVELLE<br />
On retrouve là les traits qu'a fait apercevoir l'histoire des deux léxèmes. Et<br />
l'accord se fait de façon à peu près unanime sur les qualifications, même si elles ne<br />
sont pas toujours d'une clarté absolue. Je cite un fragment tout à fait significatif,<br />
parmi plusieurs dizaines d'autres possibles, à peu près concordants depuis la seconde<br />
moitié du XIX° siècle : c'est de Marcel Arland :<br />
« Toutes mes nouvelles reposent sur des données véritables ou à tout le moins<br />
vraisemblables _ J'appellerai conte une fiction (assez courte) qui ne se pique pas<br />
d'une vraisemblance ou la refuse, qui se propose de surprendre, de déconcerter ».<br />
Un peu de naïveté, peut-être chez ce Marcel-là, à propos de la vérité et de son<br />
substitut, la vraisemblance ? Écoutez maintenant un autre Marcel, Marcel Aymé,<br />
dans le « Prière d'insérer » des <strong>Conte</strong>s du chat perché :<br />
« J'avertis donc mon lecteur que ces contes sont de pures fables, ne visant pas<br />
sérieusement (appréciez le sérieusement !) à donner l'illusion de la réalité (repérez<br />
au passage l'illusion référentielle, et la reconnaissance d'éléments persuasifs dans le<br />
discours). Pour toutes les fautes de logique et de grammaire animales que j'ai pu<br />
commettre, je me recommande à la bienveillance des critiques qui, à l'instar de leur<br />
confrère, se seraient spécialisés dans ces régions-là ».<br />
Depuis Saussure et l'expulsion du référent, il va sans dire que la prise en<br />
compte directe et immédiate du référent n'intervient pas dans l'évaluation de la<br />
1 « De la figurativité », Actes sémiotiques, Bulletin, VI, p. 26, 50.<br />
2 <strong>Le</strong> séminaire. Livre III. <strong>Le</strong>s psychoses, 1955-1956, <strong>Le</strong> seuil, 1981. La théorie du point de capiton,<br />
appuyée sur une analyse de la première scène d'Athalie, se trouve aux pages 298 et suivantes<br />
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