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Le Conte

Tout sur les contes

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L'ÉNONCÉ ET L'ÉNONCIATION DANS LE CONTE POPULAIRE TURC<br />

empêche de conclure à une disjonction temporelle introduite par la déictique « dans<br />

les temps très anciens » : elle embrasse les deux récits à la fois. Etant donné, d'autre<br />

part, la contemporanéité, déjà posée, du sujet de la narration à tous les événements<br />

du monde, tout nous conduit à affirmer que les deux histoires relèvent d'un même<br />

univers diégétique. En effet, outre qu'il arrive au sujet de la narration de tenir dans<br />

l'histoire qu'il relate un rôle plus ou moins déterminant (par exemple, il est appelé à<br />

remplir la fonction d'adjuvant en raison de cinq pièces en or), outre qu'il tient<br />

souvent à préciser que, lui aussi, il était sur les lieux de l'événement, que les<br />

personnages dont il vient de raconter les exploits continuent à vivre encore « dans la<br />

félicité » ou même à transmettre à ses narrataires le « bonjour » que les héros leur ont<br />

souhaité en passant « hier » par les lieux de l'instance de l'énonciation, sa manière<br />

même de considérer les êtres, les objets et les événements du conte par rapport aux<br />

données spatio-temporelles de l'instance de l'énonciation nous prouve qu'il n'y a<br />

qu'une disjonction relative entre ces deux ensembles narratifs.<br />

Ainsi, le sujet de la narration indique bien qu'il n'existait pas de machines à<br />

coudre à l'époque où se déroulait l'histoire relatée, mais il insinue par là même que le<br />

maintenant de l'instance de l'énonciation se situe sur le même niveau de réalité que<br />

cet alors lointain de l'énoncé ; il dit bien que les dragons, en ces temps-là, pouvaient<br />

voler, mais, loin d'en faire les êtres surnaturels d'un monde autre, sans rapport avec<br />

celui où il prend place, il rapproche le alors du maintenant et les créatures des temps<br />

anciens de celles des temps plus proches en les situant sur un même axe d'évolution.<br />

Enfin, qu'elles soient du type : « <strong>Le</strong>urs vœux étant ainsi réalisés, ils passèrent<br />

le reste de leur vie à manger et à boire dans la félicité. Et maintenant, c'est à nous de<br />

monter sur leur estrade », du type : « Lui et tous les siens mènent encore une vie<br />

joyeuse. Hier ils passaient par ici. Ils m'ont dit de vous souhaiter à tous le bonjour »<br />

ou du type : « Eux (les personnages du conte), ils ont mangé, ils ont bu et ils sont<br />

allés là, et nous (le narrateur et les narrataires), nous avons mangé, nous avons bu et<br />

nous sommes venus ici », presque toutes les formules finales, dans les contes<br />

populaires turcs, semblent prolonger l'histoire relatée jusqu'au maintenant de<br />

l'énonciation avant de le clore sur elle-même. Mais, au même moment, elles en<br />

ouvrent les portes à ses narrataires : le passage récent des personnages toujours en<br />

vie par le pays du narrateur et de ses narrataires, la volonté de ces derniers de venir<br />

s'installer sur l'« estrade » apparemment abandonnée par les premiers, tout y révèle<br />

un processus d'embrayage qui, joignant l'instance de l'énonciation à celle de l'énoncé<br />

et réduisant par là même la distance qui sépare leurs univers respectifs, clôt le récit<br />

non seulement sur lui-même, mais encore sur son narrateur et ses narrataires.<br />

YUCEL Tahsin<br />

Université d'Istanbul<br />

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