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POUR L'INTERPRÉTATION D'UNE ETHNOLITTÉRATURE<br />
13. L'ASSEMBLAGE LOGIQUE DES CONTES<br />
<strong>Le</strong>s contes sont des constructions où entrent des éléments de taille différente,<br />
motifèmes, thèmes, figurèmes. <strong>Le</strong> conte tchadien contient le motiféme calebasse<br />
dévorante mais il contient aussi le thème de l'origine de la mort et celui de l'enfant<br />
abandonné. <strong>Le</strong> conte des Grand Lacs contient le motifème de l'enfant abandonné et<br />
le thème du monstre dévorant et de la caverne aux trésors.<br />
Ces éléments sont les “signes“ de <strong>Le</strong>vi-Strauss 1 qui peuvent par permutation<br />
entrer dans un nombre limité de combinaisons ; le nombre de combinaisons étant<br />
déterminé par les liaisons possibles entre éléments de tailles différentes. Ces<br />
possibilités et contraintes combinatoires sont régies par une logique catégorielle telle<br />
que nous l'avons définie en termes binaires et aussi par un système d'associations<br />
analogiques et de rapprochements approximatifs au niveau des conduites et des<br />
figures.<br />
La liaison entre “Monstre dévorant“ et “ Origine de la mort“ se situe au<br />
niveau des figures : la cendre en tant que résidu producteur de sel et fertilisant<br />
contient les sèmes contraires, vie et mort. Elle permet la transformation<br />
Mort/Calebasse et l'enchaînement du conte tchadien.<br />
La liaison entre le “Monstre dévorant“ et “l'Enfant abandonné“ se fait grâce à<br />
la femme enceinte dans la brousse dont la figure est attestée dans de nombreux<br />
contes africains, très éloignés des motifs que nous venons de voir. C'est <strong>Le</strong>vi- Strauss<br />
qui le premier a su décrire ce phénomène de la genèse des contes :<br />
« La pensée mythique, cette bricoleuse, élabore des structures en agençant des<br />
événements ou plutôt des résidus d'événements. » 2<br />
<strong>Le</strong> conte rwando-Burundais assure sa cohérence d'une autre façon, la<br />
structure thématico-narrative basée sur un scénario de compensation intègre des<br />
figures et des conduites qui sont le résidu de motifs divers et qui pourraient être<br />
autres sans rien changer à l'économie narrative du conte. <strong>Le</strong> frère et la sœur, la<br />
caverne, l'hyène dévoreuse, la voix changée sont des figures que l'on retrouve dans<br />
bien d'autres motifs et conduites, aussi bien en Europe, qu'en Afrique, ou dans le<br />
monde arabe. Il se trouve que leurs charges sémantiques sont compatibles entre elles<br />
et avec la structure thématico-narrative. Autrement dit, il devient évident que nos<br />
deux contes sont différents de nature. <strong>Le</strong> conte tchadien est un bricolage de thèmes à<br />
partir d'un réseau de figures, tandis que l'autre est un bricolage de figurèmes qui<br />
investit un scénario métapsychologique et thématico-narratif.<br />
Il appert de ce que nous venons d'exposer que le rôle des figures est loin<br />
d'être négligeable dans l'agencement des contes. Il nous faut revenir sur la notion de<br />
motif : empiriquement les motifs ont été abstraits à partir des contes du monde<br />
entier, mais qu'est-ce qui permet de repérer un conte par l'intitulé de son motif<br />
principal ? Prenons le cas du “Monstre dévorant“, est-ce que tous les contes qui<br />
attestent la présence d'un micro-événement où un monstre dévore au moins un être<br />
humain ou un substitut d'être humain, peuvent être classés sous la rubrique Monstre<br />
dévorant ? Il est bien évident que non, c'est un choix tout à fait arbitraire qui permet<br />
d'appeler Monstre dévorant toute une série de contes. Pour qu'un conte puisse être<br />
1 Cl. LEVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Plon, 1962.<br />
2 Cl. LEVI-STRAUSS, op. cité.<br />
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