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LE CONTE<br />
traduit un événement extérieur, intérieur, réel ou imaginaire, sans se préoccuper ni de<br />
questions de langage, ni de théories précises, à condition aussi que cet événement<br />
puisse tenir dans une anecdote ou une humeur unique, et n'ait pas les ramifications en<br />
tous sens d'une œuvre ni d'une pensée cyclique : elle doit pouvoir être résumée". On<br />
aimerait par la même occasion proposer l'approximation suivante pour le conte : "<strong>Le</strong><br />
conte se distingue de la nouvelle en ce qu'il peut traduire une suite d'événements,<br />
sans établir entre ceux-ci une hiérarchie ni un choix quelconque ; il s'en distingue<br />
surtout par le choix, très conscient, soit du style, soit de l'intention satirique, morale,<br />
sociale, etc._ Il ne prétend pas comme la nouvelle, à une relation : il prétend à<br />
l'interprétation de ce qu'il relate. Il est sinon forcé, pour le moins voulu : il souligne<br />
tantôt les particularités littéraires de son auteur, tantôt le but visé par celui-ci" ». (p.<br />
11).<br />
Beaucoup d'éléments de ces deux « approximations » sont si _ approximatifs<br />
qu'il est tout bonnement impossible de leur affecter quelque sens que ce soit. Quand<br />
il est possible de repérer ce que Bosquet a en tête, on s'aperçoit que c'est souvent<br />
extrêmement discutable. Ainsi, quand il caractérise le conte « par le choix, très<br />
conscient du style ou de l'intention », il laisse entendre que ces traits ne se retrouvent<br />
pas dans la nouvelle. Il le dit d'ailleurs presque explicitement en signalant le peu<br />
d'intérêt de la nouvelle pour « le langage ». Je laisse à chacun le soin d'apprécier. Un<br />
trait intéressant, malgré tout, dans l’« approximation » du conte : « il prétend à<br />
l'interprétation de ce qu'il relate ». Nous aurons, plus tard, l'occasion de repérer les<br />
mécanismes formels qui rendent compte de cet effet de sens, la « prétention à<br />
l'interprétation ». Anticipons, en deux mots : pour qu'il y ait « interprétation », il faut<br />
un interprète : c'est dire que dans la structure du conte se loge quelque part un sujet<br />
spécifique, l'interprète. C'est dire qu'il y a nécessairement au moins duplicité, au sens<br />
de dualité, de l'instance d'énonciation du conte.<br />
Ainsi le travail n'est pas aussi facile qu'il en a l'air. Constatation qui a<br />
l'avantage d'offrir une première direction à la réflexion : se demander pourquoi le<br />
travail est difficile. A cette difficulté je vois deux raisons.<br />
La première tient à ce que conte et nouvelle sont des formes spécifiques du<br />
discours littéraire 1 . <strong>Le</strong>ur distinction supposerait donc une typologie affinée des<br />
différentes formes de discours littéraire : typologie dont on sait qu'elle n'est pas<br />
encore achevée, à supposer qu'elle puisse l'être un jour. Car elle ne se confond pas<br />
avec ce qui, pour l'instant, en occupe la place : une typologie des genres littéraires 2 .<br />
Quant à la deuxième raison de la difficulté de la tâche, elle tient à ce que<br />
conte et nouvelle sont des notions évolutives. Pourquoi ne le seraient-elles pas ?<br />
Sans doute. Mais avec le conte et la nouvelle, on est vraiment gâté : les deux notions<br />
dansent un petit ballet diachronique, où l'on repère plusieurs figures, de l'opposition<br />
à l'échange de places, en passant par la danse en couple, chacun des deux partenaires<br />
doublant exactement l'autre. Des exemples ? La nouvelle du XVI° siècle ne se<br />
confond pas avec celle du XIX° ; le conte et la nouvelle ne se distinguent pas de la<br />
1 On voit que j'élimine de ma problématique le conte populaire, que je ferai toutefois intervenir pour<br />
certaines considérations diachroniques.<br />
2 Cette opposition du genre et du discours s'appuie sur les articles pertinents du Dictionnaire de Greimas<br />
et Courtés.<br />
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