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PROBLÈMES DE LECTURE DU MYTHE GREC<br />
associations possibles d'idées, de motifs et de concepts. <strong>Le</strong> mythologue apparaît ainsi<br />
comme un cartographe : il actualise des corrélations virtuellement présentes. Il fait la<br />
carte des parcours analogiques possibles à l'intérieur d'un même cadre culturel : ce<br />
travail cartographique se veut systématique et exhaustif, là où la réception du mythe<br />
par un individu particulier, était sans doute partielle, n'actualisant qu'un nombre<br />
limité d'associations. <strong>Le</strong> sens ne semble pouvoir se dégager que par le biais de cette<br />
activité intellectuelle, qui dégage à l'intérieur même du mythe et entre le mythe et le<br />
contexte culturel, des relations d'identité, de complémentarité, de variation et<br />
d'opposition. Un mythe est incompréhensible si on ne le situe pas dans une série ou<br />
dans un contexte.<br />
On n'a pas manqué de critiquer souvent sévèrement le projet de l'analyse<br />
structurale des mythes et l'application des méthodes de l'anthropologie culturelle au<br />
monde grec. Deux objections principales sont formulées. On dénonce d'abord<br />
l'hétérogénéité des témoignages utilisés par le mythologue moderne (Aristote, une<br />
scholie, une description d'Hérodote, Théophraste..) puis son mépris apparent pour<br />
l'histoire puisqu'il traverse allégrement la totalité de l'hellénisme, d'Homère aux<br />
lexicographes byzantins. Ces critiques, loin d'invalider les résultats de l'analyse des<br />
mythes, doivent au contraire la conduire à affronter les implications théoriques de sa<br />
démarche. <strong>Le</strong> débat qui s'esquisse ici oppose en fait des historiens soucieux de la<br />
chronologie, de la spécificité des genres littéraires et des niveaux de discours (un<br />
texte scientifique de l'école aristotélicienne a-t-il quelque chose à voir avec la pensée<br />
mythique ?) et des anthropologues convaincus que les représentations mentales et les<br />
catégories symboliques ne sont pas régies par le même rythme chronologique que les<br />
faits militaires ou politiques, qu'elles peuvent se maintenir sur la longue durée,<br />
indépendamment des changements conjoncturels, et s'imposer par la permanence de<br />
la langue et du lexique, par la fréquentation des mêmes textes de référence, par<br />
l'inertie d'images et de motifs profondément ancrés dans la mentalité collective.<br />
<strong>Le</strong> mythe met en jeu des catégories symboliques qui font système à l'intérieur<br />
de la culture. <strong>Le</strong> propre d'un système est l'interconnexion de ses différentes<br />
composantes, leur interdépendance qui fait qu'il est souvent impossible de soustraire<br />
ou de modifier un élément sans affecter l'ensemble qui l'englobe. <strong>Le</strong> système<br />
symbolique se définit par sa stabilité et sa permanence, tant qu'il offre à la société<br />
une référence suffisante et efficace, une grille opérationnelle pour penser la réalité et<br />
le monde, la nature et la surnature, pour se penser elle-même. <strong>Le</strong> propre d'un système<br />
symbolique est de fonctionner sans que l'on y prête attention, sans que l'on prenne<br />
conscience de son existence : le système symbolique est ce qui va de soi, ce qui ne<br />
pose pas problème pour ceux qui le partagent. Il est ce savoir implicite et préalable<br />
qui détermine « naturellement » nos actions et nos discours, qui nous permet aussi de<br />
communiquer et de nous comprendre en fonction d'une référence commune. Tant<br />
que ce système s'avère pertinent, tant que l'on ne prend pas conscience de son<br />
incongruité, de sa nature artificielle ou anachronique, il se transmet de manière<br />
statique.<br />
<strong>Le</strong> système symbolique est sous-jacent dans tous les secteurs de l'activité<br />
pratique, quotidienne, intellectuelle ou imaginaire de la société considérée. Certes,<br />
chacun de ces secteurs a sa spécificité et sa logique propre, mais la communication<br />
reste possible entre les différents champs de la culture. Cela revient donc à admettre<br />
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