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SÉMANTIQUE DU CONTE MERVEILLEUX<br />
soir, la jeune fille, en rentrant ses bêtes, en passant sur le pont, elle regarda en<br />
l'air et il lui tombe une belle étoile au front (_)<br />
- Notre homme, notre homme, viens voir notre Laide !<br />
Au même instant, elle va pour lui arracher l'étoile, mais ce fut vain. Au plus il<br />
voulait l'enlever, au plus elle était belle (_)<br />
Alors, le soir, en rentrant, en passant sur le pont, elle regarde en l'air. A<br />
l'instant, il lui tombe une queue d'âne qui se plante à son front (_)<br />
- Notre homme, notre homme viens voir notre Jolie !<br />
On la fait rentrer pour que les gens la voient pas. On se met à lui couper la<br />
queue d'âne, mais au plus on la coupait pour l'arracher, au plus elle devenait<br />
longue, elle lui arrivait aux pieds. On lui mit un voile pour la cacher qui la<br />
couvrait toute, des pieds à la tête (_)<br />
Et le jour du mariage, ils y allèrent tous, mais celle qui s'appelait la Jolie, avec<br />
sa queue d'âne et ses poux et ses puces, fut la risée de tous les invités de la<br />
noce ».<br />
A la lecture de ces passages, on aura évidemment remarqué que la<br />
catégorisation thématique (ici de type esthétique) est à ce point importante qu'elle<br />
sert directement à la dénomination même des deux jeunes filles : la « Jolie » vs la<br />
« Laide ». On aura aussi relevé que l'« étoile » est qualifiée de « belle », ce qui<br />
permet ensuite au conteur de reprendre cet adjectif - si nous ne faisons pas d'erreur<br />
d'interprétation - pour l'héroïne elle-même :<br />
Au plus il voulait l'enlever, au plus elle était belle (_)<br />
Du coup, même si cela n'est pas explicite, il faut entendre que la « queue<br />
d'âne » est /laide/ (au point « qu'on la fait rentrer pour que les gens la voient pas » et<br />
qu'elle « fut la risée de tous les invités de la noce »).<br />
De même que - comme il a été dit précédemment - les « cendres » ne<br />
sauraient se définir, hors contexte, en terme de /saleté/ (puisque pouvant même servir<br />
à la /propreté/), de même, ici, l'« étoile » ou la « queue’âne » ne sont, en ellesmêmes,<br />
ni /belles/ ni /laides/. C'est seulement la mise en contexte qui assigne à l'une<br />
et l'autre figure une valeur esthétique, appréciative pour ce qui est de l'« étoile »,<br />
dépréciative avec l'« âne ». C'est dire ainsi par là - mais ceci n'est pas propre à cette<br />
seule version - que la catégorisation thématique surdétermine le plus souvent la<br />
catégorisation figurative. De ce point de vue, nous reconnaîtrons, en ce récit des<br />
Fées, comme une sorte de désémantisation : même si, à la différence d'autres<br />
versions, les figures de l'« étoile » et de l'« âne » se maintiennent, elles sont comme<br />
« banalisées », intégrées qu'elles sont dans un dispositif axiologique (en<br />
l'occurrence : beau/laid) qui fait oublier jusqu'à leur relation d'opposition sur le plan<br />
proprement figuratif : le syntagmatique prend ainsi manifestement le pas sur le<br />
paradigmatique, et ce d'autant plus que, du point de vue de l'analyste, le jeu des<br />
oppositions figuratives n'est décelable qu'en procédant à une exploration<br />
comparative transtextuelle.<br />
Pour souligner mieux encore la distinction reconnue entre catégorisation<br />
thématique et catégorisation figurative, qu'il nous soit permis de l'illustrer par un<br />
contre-exemple. Pour la description de Cendrillon, en tant que conte-type et donc<br />
considéré comme univers de discours, nous avions proposé jadis - dans notre<br />
Introduction à la sémiotique narrative et discursive 1 - une articulation de deux<br />
1 Aux éditions Hachette, 3° ed., 1980, p. 109-138.<br />
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