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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

fable du vrai ; elle constitue un instrument d'investigation qu'il est essentiel de savoir<br />

manipuler.<br />

La parole des femmes relève encore de l'énigme qui profère et déchiffre sous<br />

l'apparence les mots cachés. D'ailleurs le conte algérien est désigné par un nom qui<br />

signifie justement énigme et non par le terme canonique utilisé au moyen- orient.<br />

La fille du marchand est choisie comme épouse par le héros, car comme lui<br />

elle pratique l'art de l'énigme. <strong>Le</strong>s mots tissent des liens invisibles entre eux par<br />

l'entremise du père qui lui n'y comprend rien « ma mère est allée voir celui qu'elle ne<br />

connaît pas, ma soeur est assise entre deux murs, mon frère bat l'eau avec de l'eau » 1.<br />

<strong>Le</strong> langage vrai ne procède pas du code de la communication commune, comme<br />

l'écrivait Valéry à propos du langage poétique : « il est construction d'un langage<br />

dans le langage ». Dans le conte, ce langage est un véritable discours amoureux qui a<br />

pouvoir de construction et de désignation des destinataires. Aussi on souscrira aux<br />

distinctions faites par l'analyste entre allocutaires et destinataires des actes de<br />

langage. De fait l'énigme est acte, dans la mesure où deux destinataires se trouvent<br />

désignés et impliqués en tant que tels par le discours. <strong>Le</strong>s allocutaires, à l'image du<br />

père, conçoivent le discours à travers l'opacité des habitudes et se trouvent de ce fait<br />

exclus du crypto-dialogue.<br />

Toujours dans le même conte, c'est en pratiquant l'énigme que l'épouse<br />

découvre les voies pour parvenir à identifier la fausse mère. Mais ce faisant elle<br />

surpasse son mari, qui, lui, était chargé de rendre la justice, et se disqualifie du même<br />

coup en tant qu'épouse. Comme convenu entre eux, elle doit partir en emportant un<br />

objet auquel elle tient. En usant des lois de l'énigme, elle retourne au domicile<br />

paternel, le mari anesthésié dans son coffre. Miracle des mots et de l'amour, le<br />

couple demeure uni assurant à la femme la suprématie du langage.<br />

Il faudrait analyser plus avant cette manipulation du langage. La femme<br />

s'iden- tifie dans les contes par la dénaturation qu'elle impose aux valeurs<br />

illocutoires ; les ordres du père ne sont pas obéis, les recommandations ne sont pas<br />

observées par les filles qui, restées seules à la maison, seront ainsi victimes de<br />

l'ogresse ou des voleurs. C'est la non observance des conventions de langage qui est<br />

source du drame. Dans les contes de ce type, la plus jeune des filles ou le petit chien 2<br />

est chargé de rappeler les recommandations du père absent. Mais l'acte même ne<br />

peut être tel que validé par une personne autorisée. Aussi ce n'est qu'une fois ces<br />

auxilaires assassinés que la parole reprendra ses droits et c'est par l'entremise d'un<br />

objet (sang ou os magique) que les faits seront révélés.<br />

La parole des femmes est aussi fonction de la situation de discours.<br />

Quand elle est seule face à l'ogre qui a mangé un âne et a revêtu sa peau, la<br />

jeune fille usera de la flatterie pour se protéger, et lui redira sans cesse qu'il a<br />

mangé un lion et qu'il a revêtu sa peau. Mais une fois le père revenu et sa<br />

protection assurée, la jeune fille change de stratégie de dis- cours ; elle<br />

humilie l'ogre par l'énoncé de la vérité et provoque sa cruauté 3 .<br />

1 T. Amrouche, Histoire du coffre, op cité p. 131-132.<br />

2 S. Benchebeb, <strong>Le</strong>s contes d'Alger, Editions Henrys, Alger 1946.<br />

3 <strong>Le</strong> bâton enchaîné de S. Bencheneb, op. déjà cité ou J. Scelles-Millié, Légence dorée d'Afrique du<br />

Nord, « Petite massue fait ton travail », Maisonneuve et Larose, Paris 1973.<br />

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